Milan, ce 27 Avril

 

Mon Cher Walewski,

Je viens tenir ma promesse. Les affaires militaires sont en statu quo. On accuse le roi du Piémont de rester inactif. Les Vénitiens ont grande peur et appellent au secours de tous côtés. On dit que Durando va aller au Frioul, j'ai vu ses troupes, il a à peu près 1200 hommes en tout ; 5 à 6 mille soldats du reste volontaires, gardes nationaux, etc.... Il y 6 à 7 mille volontaires et gardes nationaux mobiles qui viennent de Rome à Bologne commandés par le Général Ferrari, ils vont rejoindre Durando, on crie beaucoup contre ce dernier, on accuse sa lenteur.

Le Roi Charles-Albert n'aime pas les volontaires, il agit avec mollesse, c'est pour faire sentir que son armée seule arrête les Autrichiens. On dit que Udine a été prise par le corps du Général autrichien Nugent fort de 12 à 15 mille hommes. Ce ne sont pas des troupes venant de l'Autriche, mais des soldats ramassés partout de ce côté ci des Alpes. Ici ils sont d'une sérénité effrayante sur la question militaire.

Le gouvernement n'organise rien, il y a un parti qui empêche toute organisation militaire lombarde, on accepte à regret les volontaires.

Le parti avancé qui voudrait que la Lombardie se fortifia pour ôter de l'influence à Charles-Albert a eu toutes les peines du monde à faire décréter l'organisation d'une légion de quinze mille ..., il ne l'a obtenu qu'avant-hier. Cela va lui donner de la force vu que ce sont des républicains.

La question politique se complique. Le gouvernement provisoire n'existe ici que de nom, il est d'une ineptie complète. C'est de fait Charles-Albert qui commande, il a surtout à ses ordres les autorités militaires de la Lombardie. Personnellement personne ne l'aime, ni ne l'estime, mais la majorité le crois indispensable, il n'est combattu que par un petit noyau de républicains. Les modérés demandent les élections de suite pour avoir une assemblée qui devant le danger de l'Autriche et sous le joug de l'armée piémontaise ne pourrait que décréter l'avènement de Charles Albert au trône, les avancés demandent que les Autrichiens soient hors de l'Italie avant tout, que l'on ne s'occupe pas encore de la forme à donner au gouvernement. Ils demandent donc que l'assemblée ne se réunisse que quand les Autrichiens seront battus pour ne pas semer la discorde parmi les Italiens, et quand le roi de Piémont sera rentré dans ses limites avec son armée, disant que la Lombardie ne peut se prononcer librement tant que l'armée de Charles Albert l'occupe.

Tous les chefs sont aux ordres de Charles-Albert, on accuse même notre représentant Bixio d'approuver les projets du Piémont je sais que c'est vrai, ce serait une trahison aux intérêts français et révolutionnaires. La question de la république et de Charles Albert est surtout importante pour ses conséquences.

La république c'est l'unité de l'Italie dans une année prochaine. C'est ce qui fait la force des républicains.

Charles-Albert, c'est une confédération de quatre ou cinq princes à l'allemande.

Il y a beaucoup d'enthousiasme ici, malheureusement les chefs cherchent à le calmer au lieu de l'exciter. Il n'y a pas de commandement militaire sérieux. L'élan vient d'en bas et n'est pas organisé par en haut.

Je ne puis juger des ressources de l'Autriche, on les dit nulles ici, ce qui ne peut être vrai. La diète hongroise discute en ce moment si elle doit donner des subsides et permettre aux troupes hongroises de venir contre l'Italie. De sa décision peut dépendre le sort de la Lombardie. Les Piémontais comptent cinquante mille hommes en Lombardie dont trente cinq mille devant Mantoue.

Si Charles-Albert avait du savoir et du courage il laisserait des cordons pour bloquer avec les levées en masse de l'Italie les trois ou quatre forteresses autrichiennes et partirait avec ses troupes régulières jusqu'aux Alpes à la rencontre des renforts qui pourront arriver !

Il ne faut point croire les bulletins officiels. Ainsi à l'affaire de Goito au lieu de deux mille prisonniers autrichiens il y en a eu trente-cinq ; ceci est positif.

Je suis très pressé adieu tout à vous.

N.

PS. Vous avez mon adresse 3 rue d'Alger si vous voulez m'écrire pour me tenir au courant des affaires d'Italie, je vous en serai bien reconnaissant, de mon côté je serai charmé de vous donner des nouvelles

Les Piémontais ont occupé Parme, Reggio et Modène je les ai vus.


Note de Michèle Battesti
Référence à la première guerre d’Indépendance italienne de 1848 avec pour protagonistes le roi de Sardaigne Charles Albert (1798-1849) le général piémontais Giovanni Durando (1804- 1849), envoyé par le Pape Pie IX qui le désavouera dès la fin de ce mois d’avril ; le général autrichien le Comte Laval Nugent von Westmeath (1777-1862) ; Jacques Alexandre Bixio (1808-1865) qui au moment de la révolution italienne est nommé envoyé extraordinaire auprès de la cour de Turin fonction qu’il est sur le point de quitter suite à son élection à la Constituante par le département du Doubs 23 avril 1848 après l’élection à la Présidence de Louis-Napoléon il reçoit le portefeuille de l’agriculture et du commerce pour quelques jours 20-29 déc 48) . C’est le créateur du fameux dîner Bixio et un ami intime du Prince Napoléon. « l’Affaire Goito » a trait à la victoire du général Piémontais La Marmora sur les Autrichiens le 8 avril 1848
Cette lettre est vraiment très intéressante.

Note
Michèe Battesti a corrigé une grande partie de cette lettre. Merci