Mon cher Walewski,

Voilà un mois que je respire le climat tiède et pur du vieux Caire, mon moral est plus libre mais mon pauvre corps est d’une faiblesse, que je comprends d’autant moins que mon appétit est des plus convenable. Je mange de ce fameux riz (pilot) que vous vous êtes, je m’en souviens, donné la peine d’apprendre à faire à la cuisinière de Marly. Je ne doute pas que nous ne vous en souveniez aussi.
A peine arrivée en Egypte le Général Suleyman Pacha me fit offrir l’hospitalité la plus confortable. . J’étais trop malade et trop faible à l’hôtel pour refuser cette heureuse chance d’installation. Tous les jours je me félicite de mon indiscrétion ( ?) Le général et sa famille me traite comme leur propre enfant ; mon voyage dans la Haute Egypte ne manquera pas non plus de confortable, le pacha me donne sa cange et le vice roi nous donne un vapeur pour le remorquer ; puis d’étape en étape, s’il me plaît de m’arrêter je trouve des palais qui s’ouvriront comme par enchantement sans avoir à dire sésame ouvre-toi.
J’espère recouvrir ma santé mais je sens que cela sera long ! Quelle patience il me faut !! J’ai été si troublée dans la dernière quinzaine passée à Paris que je n’ai pas rendu très clair ce que je vous ai dit, la vente de ma maison en est surtout cause ; pour que cela soit clair à votre esprit il faut que toutes mes affaires soient liquidées et ne voulant point déplacer des fonds …. Il me faut attendre que mon notaire ait terminé et exécuté mes derniers ordres. Je ne savais pas que les affaires demandassent tant de temps.
J’ai reçu des nouvelles d’Alexandre il me dit sa joie d’être chez son papa, j’espère que son papa est content de lui.
C’est aujourd’hui le 14 novembre et c’est au milieu d’un jardin … que j’ai posé mon bureau pour vous écrire, une brise chaude vient de temps en temps calmer l’irritation de mes bronches qui me font tousser à perdre haleine dès que le moindre frais se fait sentir, le matin avant onze heures et le soir après quatre heures la température change complètement, mais je vous assure que je ne fais aucune imprudence, j’aurais 60 ans que je ne me soignerais pas avec plus de sagesse, et c’est ( ?) que la santé est si bonne et la vie si douce avec elle ! Cher ami c’est une liquidation de 15 ans que je paye en ce moment et je vous assure que je tiens à agir fort honnêtement ave le Diable je ne souhaite pas garder le moindre petit bobo.
Ma mère a été bien heureuse que vous l’ayez accepté dans la recommandation expresse de ne pas laisser approcher personne d’Alexandre, mon père qui est un homme fort sage et de raison a fait comprendre au reste de la famille qu’il devait en être tel que vous l’aviez décidé, la famille s’est calmé et moi, cher ami je ne puis vous bien dire mon bonheur intérieur de savoir cet enfant intelligent et distingué entre les mains ou il se trouve maintenant, c’est la meilleure preuve de véritable amour maternel que j’ai pu donner à mon fils c’est prendre à deux mains son cœur pour le mettre dans une urne sacrée !
A revoir mon cher comte vous ne doutez pas que je prie Dieu pour qu’il garde la santé des vôtres qui est votre santé à vous.
Bientôt je serai sur la Nil je pense trouver moyen encore de vous faire parvenir de mes nouvelles puisque vous avez eu la bonté de m’en demander pendant mon séjour en Egypte. Vous allez aussi ne pas m’oublier.
Si vous le trouvez convenable priez Madame Walewski d’accepter mes sentiments de profonde reconnaissance pour les bonnes paroles qu’Alexandre m’écrit de sa part.
A vous, cher Walewski dévouée à toute épreuve

Rachel

Du vieux Caire 14 novembre 1856

Ce n’est pas très lisible ce que je vous ai écrit là mais je suis trop faible pour écrire lentement.