Tribunal Correctionnel de la Seine (6ème chambre)
Présidence de M. Massé
Audience du samedi 4 mai 1861

Affaire de la Brochure du Duc d’Aumale
Excitation à haine et au mépris du Gouvernement-Jugement


Cette affaire avait attiré une foule immense au Palais de Justice, avant huit heures du matin, l’escalier et les abords de la police correctionnelle étaient envahis par une multitude de curieux, de jeunes avocats et de gens du monde qui, spontanément, s’étaient donné des numéros d’ordre qu’ils portaient au chapeau et à la boutonnière.

A onze heures, les portes de l’audience sont ouvertes. M.M. Montalembert, Bocher, Antoine Passy, Napoléon Daru, d’Haussonville, le Duc d’Harcourt, Odilon Barrot et Dupont (de Bussac) ces deux derniers en robe, sont mêlés à un nombre considérable de Magistrats et de fonctionnaires.

Maître Dufaure assiste M. Lemercier Dumineray, libraire-éditeur à Paris, prévenu d’avoir, en publiant en vendant la brochure intitulée : Lettre sur l’Histoire de France, commis le délit d’excitation à la haine et au mépris du gouvernement, visé notamment aux pages 12, 15, 26, et 27 de ladite brochure, et prévu par l’article 4 du décret du 11 août 1848.

Maître Hébert est chargé de la défense de M. Beau, imprimeur à Saint Germain en Laye, qui s’est , dit la prévention, rendu complice du délit imputé à Dumineray, en lui fournissant les moyens de le commettre et en l’aidant et assistant avec connaissance dans les faits qui ont préparé, facilité et consommé ce délit, de manière à tomber sous le coup non seulement du décret du 11 août 1848, précité, mais des articles 59 et 60 du code pénal relatifs à la complicité.

Le siège du Ministère public est occupé par M. l’Avocat Impérial Ducreux.

La cause est appelée à midi, après qu’une cinquantaine de jeunes avocats ont pris possession d’un banc resté vide.

Il n’y a pas d’interrogatoire. Les deux prévenus déclinent leurs noms, domiciles et qualités. Chacun d’eux a subi une condamnation antérieure pour délit de presse. M. le Président leur rappelle de quelle inculpation ils sont les objets. Tous deux reconnaissent que la brochure qui leur est présentée est bien celle qu’ils ont publiée, et déclarent qu’ayant su ce que contenait cet écrit, ils en acceptent la responsabilité.


La parole est au ministère public


M. l’Avocat Impérial Ducreux. Après avoir rappelé que le temps où nous vivons voit éclore des brochures aussi nombreuses que passionnées, auxquelles le gouvernement laisse toute liberté de critique, ne leur imposant d’autre respect que celui de la loi et de la bonne foi, l’honorable organe de la prévention déclare que la brochure en ce moment déférée à la justice eut joui de la même liberté que les autres, si, au lieu d’être une critique, même sévère, des faits et des actes du gouvernement, elle ne se fut signalée par une hostilité profonde, calculée, violente et amère contre le principe même de ce gouvernement et les institutions que la France s’est données. Attaquer, comme l’a fait cet écrit, la dynastie et les institutions napoléoniennes, c’était commander impérieusement les poursuites, et ces poursuites, il n’était pas au pouvoir du gouvernement de les arrêter. Son origine populaire, la triple acclamation de sept millions de suffrages, ne lui permettaient pas de se laisser insulter devant la France, de se laisser accuser de violence et de faiblesse. On sait qu’il est aussi loin de l’une que de l’autre.

Au premier abord, on a pu croire, par la forme épistolaire et par le sous-titre de la brochure, que ce n’était qu’une réponse à un discours ; mais une lecture réfléchie montre que c’est, au contraire et surtout le manifeste d’un parti et une déclaration de guerre au gouvernement lui-même. Cela est si vrai, que S.A.I. le Prince Napoléon lui-même, tout en demandant avec autant de générosité que de délicatesse la libre circulation de cette œuvre, l’a qualifiée en termes exactement semblables à ceux de la prévention (mouvements en sens divers).

Et non seulement, c’est le manifeste d’un parti, c’est aussi comme la résultante de toutes les attaques perfides et intéressées qui ont accompagné et suivi les dissensions de l’adresse au Sénat et au Corps Législatif. La signature apposée à la fin de ces pages en est la preuve. C’est un drapeau levé, un défi. De quoi n’accuse-t-elle pas notre gouvernement ? Violation des principes de 89, hypocrisie dans le décret du 24 novembre, comédie parlementaire, concert européen, qu’est-ce que tout cela avait de commun avec un discours qui n’en disait pas un mot ? Qu’est-ce que cette sollicitude d’un prince de la Monarchie de Juillet, pour un Prince de la Monarchie Impériale ? Qu’est-ce encore, à propos d’une simple allusion, que cette apologie impossible de Philippe Egalité ?

On le voit c’est un brandon de discorde qu’on a voulu allumer ; on a tenté d’escompter les circonstances, Beau et Dumineray ont été les facteurs de cette machination, dont ils acceptent la responsabilité toute entière, que le Tribunal devra mesurer à la portée même de l’agression. Tous deux ont été déjà condamnés ; ils ont donc à la fois l’expérience professionnelle et l’expérience juridique. Ils se sont faits sciemment, froidement, les agents actifs et intelligents des partis, de leurs haines ; ils ont voulu semer dans les esprits une agitation dont ils espéraient sans doute recueillir les fruits. Ni leurs personnes, ni leurs familles ne se trouvaient engagées dans la publication qu’ils ont faite. Ce qui leur a fait braver une condamnation à laquelle ils n’échapperont pas, c’est tout simplement une question d’argent. Ce sont de mauvais citoyens, indignes de toute indulgence.

Ici, M. l’Avocat Impérial aborde l’examen de la brochure avant de discuter chacun des passages incriminés, il établit que la pensée dominante, la synthèse unique de ce travail se trouve dans la phrase finale. “Qu’avez-vous fait de la France ?” Toute la pensée de l’auteur est là, une menace (car le passage commence par ces mots :”prenez garde !”) qui vient couronner une calomnie.

Discussion du 1er passage incriminé (page 12), celui où il est parlé du doux mouvement d’un gouvernement libre comparé aux dures maximes, aux pratiques impitoyables, aux spectacles corrupteurs de tant de violences heureuses. Ceci n’est pas équivoque. L’assimilation entre le gouvernement Impérial et le gouvernement tombé en 1848, n‘est pas à l’avantage du premier. A celui-là on jette le mépris, à l’autre l’éloge, à celui-là on dit : ”vous êtes la violence heureuse !” à cet autre : ” vous êtes le gouvernement doux et libre !” Ah ! poursuit M. l’Avocat Impérial, quels mensonges que ceux-là ! La France de 1861 n’offre-t-elle pas à quiconque n’est pas son ennemi systématique, le spectacle de la modération dans la force, et quant au gouvernement dont on parle et à son doux mouvement, faut-il rappeler que la révolution de juillet ne fut pas autre chose qu’une violence heureuse, heureuse en ce sens surtout qu’avec les débris du trône de Louis XIV elle édifia le trône de la branche cadette ? Faut-il rappeler cette situation fausse et non ratifiée par la France, les insurrections de 1832, de 1834, de 1835, les états de siège de Paris et de Lyon, l’insurrection de la Vendée ? Sans doute il s’en suivit, au nom de l’ordre, une répression légitime, mais les vaincus d’alors, vos amis de la veille, appelaient-ils cela un doux mouvement ? Faut-il parler de ces luttes entre la pensée personnelle, comme on disait alors, et les représentants du pays ? à quoi bon ?

Le deuxième passage incriminé (page 15) reproche au gouvernement Impérial “de toujours promettre et de ne jamais tenir” de trouver à tout propos des prétextes commodes pour manquer à ses engagements.

L’orateur estime qu’ici l’excitation se produit dans un reproche aussi hasardé que calomnieux. Cette excitation procède évidemment de l’amertume qu’on éprouve à voir que la dynastie napoléonienne n’a pas failli à sa magnifique mission. La France avait demandé à cette dynastie de la sauver de l’anarchie. La promesse en fut faite ; qui oserait dire que cette promesse n’a pas été tenue ? Qui oserait dire que la pyramide n’a pas été remise sur la base ? Est-ce la paix de Villafranca que vous appelez une promesse donnée et enfreinte ? Mais cette paix qu’est-ce autre chose que l’exécution de la promesse faite de sauvegarder les intérêts du pays de préférence à ceux de l’Italie, à ceux mêmes de la gloire qui s’attache toujours aux armes victorieuses ? Et la promesse de protéger le Saint Siège, est ce qu’elle a été violée aussi, celle-là ? Notre drapeau est à Rome où il protège, nous seulement le Pape, mais un Prince de la Maison de Bourbon, votre parent (mouvement).

Dans le troisième passage poursuivi, on insinue que les français ne jouissent d’aucune sécurité, d’aucune inviolabilité, et que, pourtant, on invoque avec hypocrisie les principes de 89. Attaque aussi inconcevable que blessante. Les douleurs de l’exil rendent injuste. Qui donc en France n’est pas en sûreté ? Et pourquoi oublier les paroles de M. le Président du Conseil d’Etat, au Corps Législatif ; l’amnistie acceptée par tous les partis, les mesures populaires ? La liberté que vous demandez, c’est la liberté du mal, et vous ne l’aurez jamais. Celle dont la France jouit, et dont vous ne voulez pas, c’est la liberté du bien.

Vous ne l’aimez pas plus que vous n’aimez l’Angleterre, qui l’invoquant aussi, au temps où les Stuarts conspiraient à l’étranger (mouvement au banc de la défense) Cette liberté, le décret du 24 novembre l’a donné au pays, une reconnaissance unanime en a remercié l’Empereur.

Arrivant au quatrième chef de la prévention résultant des pages 25, 26 et 27, M. l’Avocat Impérial croit toute analyse inutile, le délit existant à chaque phrase. A ce langage des partis, il croit devoir opposer le langage de l’homme de cœur, de l’homme d’Etat, de l’histoire pour tout dire, et il lit, comme une réponse aux calomnies qui débordent dans le document incriminé le passage du dernier discours de M. Billault devant le Corps Législatif, commençant par ces mots : jusqu’à présent la politique du gouvernement et finissant par ceux-ci : La confiance des grands souverains qui se réunissaient à Varsovie. Voilà la meilleure réponse à ce reproche de politique à double face jouée devant l’Europe. Et ici se place, dans la mémoire de l’orateur, le souvenir de la question d’Orient en 1840. Le gouvernement d’alors avait fait deux promesses formelles, l’une au Pacha, de s’intéresser et d’intervenir pour cette Egypte qui aime la France et à laquelle Napoléon, dit M. Thiers, avait pensé, comme il pensait à tout ce qui était utile et glorieux, l’autre à la France, à qui on avait promis de sauvegarder sa dignité, son honneur. En vertu de cette promesse, le Pacha repoussa l’ultimatum des puissances, et la France crut un moment sortir de cette atonie qu’on appelle la paix à tout prix. Tout cela n’était que de la mise en scène. Le Moniteur publiait le 17 septembre le texte de la convention de Londres, où le nom de la France ne se trouvait pas, de la France rayée du rang des grandes puissances. Puis venaient le bombardement de Beyrouth, l’indignation du pays, la lettre insultante de Lord Palmerston, etc. M. l’Avocat Impérial ajoute à ce tableau un fragment du discours de M. Thiers dans la discussion de l’adresse de 1840 et une phrase de M. de Montalembert qui est présent à l’audience.

Et c’est en présence d’une telle situation qu’on ose nous dire : Qu’avez-vous fait de la France ? Mais nous l’avons relevée, nous l’avons faite la plus grande nation de tout l’univers, la plus glorieuse, la plus aimée. Demandez à nos soldats de Sébastopol et de Solférino s’ils ne rencontrent pas partout l’admiration et la sympathie ? Nous avons réalisé l’idéal de Frédéric II et pas un coup de canon ne se tire en Europe sans notre permission. Ce que nous avons fait à l’Intérieur ? Une nation laborieuse, prospère, fière d’elle-même et de son gouvernement.

Messieurs, ce procès est jugé. La cause est toute dans les passages incriminés. Il faut laisser dans l’ombre tout ce qui est étranger à ces passages. Que le Tribunal lise et juge, avec sa conscience bien plus qu’avec ses lumières, et la sanction requise ne se fera pas attendre. Nous requérons l’application de la loi (mouvement).

Me Dufaure (profond silence). Messieurs, le délit imputé à M. Dumineray se réduit à ceci : avoir publié et vendu un écrit qui excite à la haine et au mépris du gouvernement. Or, le caractère de cet écrit n’était pas équivoque, M. Dumineray a donc fait le mal sciemment, et doit en être responsable.

Il faut bien dire pourtant que, dès l’origine, la culpabilité de la brochure incriminée ne parut pas aussi évidente à tout le monde. Déposée le vendredi 12 avril, avant midi, au Parquet de Versailles où elle est lue et méditée librement, elle est envoyée à Paris, où l’on en prend probablement connaissance. Vingt-cinq heures se passent, Dumineray ne reçoit aucun de ces avis officieux devant lesquels s’arrête toute publication. Il met en vente le samedi vers une heure. Ouvertement, publiquement, dans l’endroit le plus public et le plus surveillé de Paris. A la Bourse, on vend jusqu’à épuisement. Enfin, à cinq heures, un commissaire se présente, demande la brochure quand il n’en reste plus un exemplaire, et opère une saisie-fictive (on rit).

A quoi attribuer cela ? Ce n’est certes pas à la négligence des agents du gouvernement ; oh ! non. C’est qu’à la première lecture, tout le monde s’était dit : Voilà une réponse, une défense, une réponse, dis-je à une attaque, et non une attaque contre le gouvernement. Et, en effet, que dit le Moniteur du 15 avril ? Une brochure etc a été saisie. Et le même jour, M. le Ministre de l’Intérieur écrit aux préfets : “Prévenez les journaux qu’ils ne peuvent ni citer, ni commenter la brochure du Duc d’Aumale et bornez-vous à reproduire la note du Moniteur, etc. Enfin, le 20 avril, que dit encore le Moniteur ? Que la lettre sur l’histoire de France, contenant une attaque contre le Prince Napoléon, n’a pu, malgré le désir du Prince, être soustraite à l’action de la justice”. On le voit donc : le gouvernement lui-même ne parle que d’attaques personnelles contre le Prince.

Mais voici que le Siècle du même jour publie la lettre que le Prince Napoléon a écrite à l’Empereur. Dans cette lettre, dont M. Dufaure donne lecture, la brochure est tout autrement qualifiée, que dans les notes du Moniteur et de M. le Ministre de l’Intérieur.

Si le Prince avait écrit à l’Empereur : “Laissez circuler un écrit où moi seul suis attaqué, et auquel seul je dois répondre ; “ je ferais, comme M. l’Avocat Impérial, l’éloge de la grandeur d’âme de S.A.I., mais je ne vois rien de semblable. La lettre du Prince est fort habile, elle a servi de base à des brochures dont je reparlerai, à la poursuite dirigée, au réquisitoire de M. l’Avocat Impérial pourquoi cela ? Parce que ce qui était aux yeux du gouvernement n’était qu’une attaque contre le Prince, devient aux yeux du Prince un manifeste orléaniste. Voilà le dernier mot.

Le Prince, en ayant l’air de demander qu’il n’y ait pas de poursuites, obtient qu’elles aient lieu et les indique lui-même, double et précieux avantage d’être généreux et vengé. Aussi la réponse du gouvernement a été ce que demandait la lettre envoyée au Siècle, et l’on a poursuivi, non une attaque contre le Prince, mais un manifeste de parti, un manifeste orléaniste, comme disent le Prince et M. l’Avocat Impérial. Quant à l’éditeur, il n’avait pas, lui, de choix à faire. Fort du silence de ceux qui avaient mission d’empêcher la vente et qui ne sont venus saisir qu’après la vente épuisée, il a vu et ne pouvait voir sans l’écrit que la réponse à une provocation tombée de la Tribune du Sénat, pensée qui était venue à tout le monde et qui sera celle du Tribunal.

On a parlé de Stuarts conspirant à l’étranger. M. Dumineray ne pouvait voir rien de semblable à ce qu’a vu M. l’Avocat Impérial à qui je n’envie pas sa découverte.

Des Stuarts qui conspirent ? Voilà treize ans que les Prince d’Orléans vivent à l’étranger, dignes, calmes, respectés, groupés autour de leur sainte mère, et leur exil, apanage à peu près nécessaire, du moins pour un certain temps, de toutes les familles qui ont régné dans ce pays, cet exil n’a-t-il pas été tourmenté par toutes les épreuves ? Quels murmures ont-ils fait entendre ; quels signes de conspiration ont-ils donnés ? Attaqués par les journaux, par des discours d’hommes qui ont été leurs serviteurs, par des allocutions publiques tombées de haut, qu’ont-ils répondu ?

Des brochures qui sont venues en aide du Ministère Public, ont dit qu’on avait toléré qu’ils écrivissent dans nos journaux ! Qu’a-t-on trouvé dans ce qu’ils ont écrit ?

M. l’Avocat Impérial. Je n’ai rien dit à ce sujet.

M. Dufaure rappelle qu’en effet le Duc d’Aumale et le Prince de Joinville ont écrit dans la Revue des Deux Mondes, sur la marine et sur l’armée, et démontre que les écrits de ces Princes ne contiennent ni un mot de dénigrement, ni une plainte. Au contraire on y voit que l’amour de la France, la passion de sa grandeur, le sentiment national au plus haut degré.

Il en fait de fort longues citations. Les Maréchaux Canrobert et Saint Arnaud y ont leur part d’éloges aussi bien que les généraux Cavaignac et Lamoricière, l’armée de Crimée, aussi bien que l’armée d’Afrique, ceux qui ont servi sous l’Empire, aussi bien que ceux qui ont vu briser violemment leur carrière le 2 décembre 1851, (bruit) ceux qui furent arrêtés, aussi bien que celui que les fit arrêter, Changarnier et Bedeau, aussi bien que Canrobert et Espinasse. Et quels éloges enthousiastes de notre admirable armée ! Sont-ce là des cœurs jaloux d’une gloire dont ils n’auront pas leur part ? Voilà les sentiments de ces conspirateurs, et pendant qu’ils les exprimaient de la sorte, deux de leurs neveux prenaient du service dans les rangs de nos alliés, le premier sous le drapeau Piémontais, le second sous le drapeau Espagnol, et vous voulez que M. Dumineray ait vu là des conspirateurs !

(Cette discussion épisodique produit une certaine agitation dans l’auditoire où les Princes d’Orléans comptent beaucoup de leurs partisans).

Est-ce là, poursuit l’orateur, ce que font les conspirateurs ou les prétendants, d’ordinaire ? Nous avons eu des Stuarts dans notre Siècle. Que M. l’Avocat Impérial me dise s’ils se conduisaient comme les Prince d’Orléans ?

N’avaient-ils pas à l’étranger des presses à l’aide desquelles ils faisaient des proclamations que leurs amis colportaient, et à l’intérieur, des journaux qui étaient leur propriété, et dans d’autres journaux, des colonnes ouvertes à leurs articles ? N’attaquaient-ils pas le gouvernement établi, avec violence ? Ne tentaient-ils pas des actes que je ne veux pas rappeler, des actes coupables ? Qu’on me dise si les Princes d’Orléans ont jamais rien commis de pareil, et si jamais on a trouvé d’eux un mot, une ligne qui puisse justifier l’accusation que porte contre eux M. l’Avocat Impérial.

Voilà pourtant qu’ils lancent ce qu’on appelle un manifeste. A quel propos ? Mais d’abord, qu’est-ce qu’un manifeste ? Est-ce un de ces programmes, une de ces professions de foi où l’on promet tout ... ce que l’on oubliera plus tard, une promesse de gouvernement enfin ? Hélas ! non, le Tribunal sait s’il y a rien de pareil dans l’écrit de Monsieur le Duc d’Aumale, publié par M. Dumineray. Il n’y parle d’aucune des questions à l’ordre du jour, ne propose rien, ne promet rien surtout. Qu’est-ce qu’un chef de parti qui n’émet aucune opinion ? C’est qu’en effet ce n’est pas un manifeste. M. l’Avocat Impérial, qui vient d’émettre des solutions sur une foule de points ardus de la politique, a-t-il vu dans la brochure qu’il condamne, une solution, par exemple, sur cette grande question de Rome, dont M. Guizot en France, et Lord Derby en Angleterre, parlaient si élogieusement le même jour ? Et quant à la politique intérieure, que dit M. le Duc d’Aumale ? Trouve-t-il le pays, la presse, les élections assez libres ? La tribune assez élevée et assez puissante ? Pas un mot sur tout cela ! Que pense-t-il de ce sophisme indigne, que 89 n’a été qu’un vif mouvement vers l’égalité et que la liberté lui était indifférente ? (avec émotion) Il m’est arrivé dernièrement de m’arrêter silencieux devant les maisons qui furent la demeure de Monnier et de Barnave, dans ce Dauphiné où la révolution prit naissance. J’ai demandé pardon à ces grands citoyens de l’abus que notre génération à fait de leur œuvre, en invoquant le souvenir de 1789 pour supprimer les libertés qu’ils ont si glorieusement proclamées et défendues ! (sensation).

Maintenant, si cette brochure n’est pas un manifeste, qu’est-elle donc ? Pourquoi l’auteur, d’habitude si réservé, a-t-il signé ces pages ? Je l’ai dit : il répondait à une provocation. Mais, m’a-t-on dit, ce n’est pas M. Dumineray que l’on provoquait ? Sans doute, mais le tribunal admet-il qu’une personne attaquée par la voie de la publicité, n’ait pas le droit de répondre, et par conséquent de demander leur concours à un imprimeur et à un éditeur ? Ce qui est innocent pour l’un, c’est à dire l’écrit, ne peut être coupable pour l’autre. Ce serait inconséquent et inique, que cet homme attaqué avec une publicité inouïe, eut le droit de répondre, mais ne put exercer ce droit. Mais ce droit, c’est la légitime défense de soi-même ; on m’attaque je n’ai pas d’armes ; mon ami m’en prête une, et je serai absous, et lui sera condamné ! Et bien ! la presse c’est l’arme contre des provocations, comme celles dont M. le Duc d’Aumale a été l’objet.

M. Dufaure se reportant à la séance du Sénat du 1er mars 1861, trouve, dans le discours du Prince Napoléon, tous les caractères de la provocation qu’a dû repousser le Duc d’Aumale, à quoi bon, à propos de l’Italie, parler des Bourbon et des d’Orléans. En quoi la solution de l’unité italienne touchait-elle leurs personnes ? N’était-ce pas la plus aigre et la plus gratuite des agressions qui inspirait l’orateur ? Qu’on relise ces passages du discours du Prince Napoléon, tels que les ont donnés la Patrie et le Moniteur, quoique ce dernier ait été mitigé, et l’on verra tout ce que cette agression avait d’injuste, d’abord, et ensuite d’inutile à la thèse que l’on soutenait. Ce n’est pas tout, le Ministre de l’Intérieur écrit aux préfets la dépêche que l’on sait ; le discours est affiché à la porte de toutes les mairies de l’Empire, où il fait, dit le marquis d’Andelarre, qui n’est pas un ennemi, pourtant, courir les frissons qui accompagnèrent le 16ème bulletin de la république. Cette dépêche du Ministre, cet affichage que signifiaient-ils ? Que le gouvernement s’empressait de s’associer à l’injure faite.

A ceux qui prétendaient que le Duc d’Aumale, tout en ayant le droit de répondre au Prince Napoléon, ne devait pas mettre en cause le gouvernement, M. Dufaure répond que le gouvernement, d’abord s’était approprié le discours du Prince, puis, que le Prince Napoléon, presque à chaque page, parle de façon à s’identifier avec le gouvernement, à le personnifier en lui- même : nous avons fait ; nous avons dit, nous fusillerons
, etc. Nous donnons notre sympathie à Garibaldi, nous voulons que le Pape, etc, nous, toujours nous. Le Duc d’Aumale doit-il, oui ou non, se laisser provoquer? IL n’est pas permis, même au gouvernement le plus absolu, d’écrire des offenses sans être exposé aux représailles.

Vient maintenant la question de savoir si le délit d’excitation à la haine et au mépris du gouvernement existe. M. Dufaure abandonne cette partie de la discussion à son savant confrère qui analysera les passages incriminés. Il ne veut lui, dire qu’un mot des pages 25, 26 et 27 et de la comparaison qu’a cru devoir faire le Ministère Public des deux gouvernements de juillet 1830 et de décembre 1851. C’était là un terrain sur lequel il y avait peu de générosité à conduire la défense, liée par son devoir, par sa situation, par toutes les convenances. La même liberté n’est pas acquise à tous ici ; M. l’Avocat Impérial loue et blâme à son gré ; l’avocat ne peut en faire autant. Mais que ce silence ne soit pas regardé comme adhésion aux doctrines de M. l’Avocat Impérial. Rien n’est plus facile, d’ailleurs, que d’énumérer les embarras d’un gouvernement libre, et d’en triompher ! Montesquieu l’a dit : ”la liberté coûte souvent aussi cher que la servitude ; mais quel que soit son prix, il faut bien la payer aux Dieux !” Voilà ma réponse, et j’ajouterais avec mon regrettable ami M. Vivien, que je prendrais la liberté de quelque main qu’elle sorte, d’un Washington, d’un Stuart ou d’un Cromwell, s’il pouvait me la donner.

Après avoir démontré que les reproches faits par le Duc d’Aumale à la politique à double face ne sont que l’écho affaibli de ce qu’ont dit beaucoup d’orateurs, et même le Prince Napoléon lui-même, M. Dufaure se demande si la critique, même injuste, est du domaine de la police correctionnelle. Ce reproche de politique à deux faces est universel en Europe. A moins de prétendre que la Constitution qui a déplacé la responsabilité, a modifié aussi la loi pénale, et que blâmer tel ou tel acte, c’est insulter l’Empereur lui-même, on ne doit voir aucun délit dans des critiques qui ont toujours été permises et bien accueillies en France, et dont les derniers débats de l’adresse ont fourni de si énergiques spécimens. Il n’y a rien, dans la brochure d’aussi vif que ce qu’ont dit M.M. Keller et Jules Favre et que ce dont s’est plaint M. Billault, à propos de ces mêmes discours. Mais le Prince Napoléon lui-même a jeté au gouvernement cette accusation de diplomatie à deux visages et à deux fins. Le délit relevé aux pages 25, 26 et 27 n’est donc autre chose que de la libre et très modérée discussion.

Il y a une règle que nos mœurs se sont imposés, règle de morale qui convient admirablement à une société comme la nôtre ; c’est quand un prévenu est sous la main de la justice, de faire silence autour de lui, et de ne songer ni à l’attaquer ni à le défendre. Les consciences les moins délicates répugnent alors à se faire les auxiliaires du Ministère Public et à créer autour des juges une sorte d’opinion anticipée.

Il n’en a pas été ainsi pour les clients de M. Dufaure, et toutes les lois de la pudeur publique ont été foulées aux pieds. Le Prince Napoléon avait dit : “Etouffer, n’est pas répondre”. C’était bien. Etouffer ce n’est pas mon langage, c’est celui du Prince ; cela veut dire poursuivre judiciairement, dans sa langue à lui. Et bien ! On a étouffé, et puis on a répondu. En même temps qu’on poursuivait c’est à dire qu’on étouffait, on publiait une quantité de brochures ...”.

M. le Président : le Tribunal ne les connaît pas. Il est inutile d’en parler.

M. Dufaure : Je veux absolument en parler ; elles entrent trop dans ma défense.

M. l’Avocat Impérial : Elles ne peuvent pas entrer dans l’attaque.

M. Dufaure : Elles circulent en grand nombre : vous savez qu’il existe à Paris une fabrique de ces produits anonymes, qui souvent étonnent la France ou inquiètent l’Europe.

L’anonyme a quelque fois plus d’importance que le nom connu. Sur les neuf que voici, il y en a sept d’anonymes, une pseudonyme, ce qui ne vaut pas mieux ; et une signée, signée d’un écrivain qui dirigeait le principal journal d’Alger, pendant l’Administration du Prince Napoléon, et qui a, je crois, été condamné. Toutes ne sont pas blâmables ; il y en a de légitimistes, il y en a de républicaines et d’un certain républicanisme impérialiste que je ne puis apprécier (on rit), mais toutes sont hostiles aux Princes d’Orléans ; toutes, et c’est là ce qui blesse l’orateur, altèrent et calomnient les pensées, le caractère, les idées du Duc d’Aumale, sous prétexte de répondre à son écrit, qu’elles traitent de Manifeste.

M. Dufaure lit plusieurs fragments de deux ou trois de ces brochures, et en tire cette conclusion, qu’il est impossible qu’un homme diffamé de la sorte ne réponde pas, et que sa seule réponse à ces calomnies infâmes ou absurdes, c’est, non pas d’interdire les brochures qui les contiennent, mais de laisser circuler la sienne. Et le jugement du tribunal produira cette réparation nécessaire et légitime. A moins qu’on ne prétende que l’écrit est dangereux, parce qu’il émane d’un exilé, et qu’une défense légitime est le manifeste d’un Stuart conspirant à l’étranger.
Messieurs, dit en finissant l’honorable avocat, ceci me rappelle un passage d’un écrivain très haut placé, que je demande la permission de lire, et qui sera le dernier mot de cette plaidoirie, (mouvement d’attention) : “Prends garde, dit-il à l’exilé ; à chaque pas que tu fais, à chaque mot que tu prononces, à chaque soupir qui s’échappe de ta poitrine, car il y a des gens payés pour dénaturer tes actions, pour défigurer tes paroles, pour donner un sens à tes soupirs. Si l’on te calomnie, ne réponds pas ; si l’on t’offense, garde le silence ; car les organes de la publicité sont fermés pour toi ; ils n’accueillent pas les réclamations des bannis. L’exilé doit être calomnié sans répondre ; il doit souffrir sans se plaindre ; la justice n’existe pas pour lui”. Messieurs ces douloureuses paroles, je les comprends comme des plaintes amères, échappées du cœur de l’exilé. Je ne les concevrais plus si on voulait les transformer en une sorte de programme de gouvernement et de règle de justice, sous le règne de l’exilé devenu Empereur. (sensation prolongée. Quelques applaudissements se font entendre. L’audience est suspendue pendant une demi-heure).

A la reprise de l’audience, la parole est donnée au défenseur du prévenu Beau.

Me Hébert. Notre tâche commune est bien avancée, messieurs, si l’écrit déféré à votre justice n’a été, comme vous l’a démontré si éloquemment mon noble ami Dufaure, que la protestation indignée, mais légitime, contre une injuste et violente agression qu’une réhabilitation de la vérité méconnue et de l’histoire travestie ; nul de ceux qui ont prêté leur concours à cette œuvre de saintes représailles, ne doit encourir de condamnation. L’imprimeur avant tout, dont le devoir pour ne parler ni de son droit, ni de son intérêt, est de propager, par les moyens que la loi laisse à sa disposition, tout ce qui est juste, tout ce qui est bon, tout ce qui est vrai : Beau n’a pas fait autre chose. Ainsi qu’il l’a dit devant le Magistrat instructeur, il a pensé que le gouvernement était assez fort pour laisser un fils exilé prendre la défense de son père.

Un mot de M. l’Avocat Impérial ferait croire qu’il y a eu calcul de sa part. Ceci est une exagération. Dans tous les procès politiques, il est vrai que l’imprimeur risque beaucoup, et alors, il doit, avant d’imprimer une pièce, même inoffensive, prendre des garanties pécuniaires. Placé entre l’administration et la justice, exposé chaque jour à l’imprévu et à l’arbitraire, qui oserait l’en blâmer ? Il a rempli toutes les formalités ; il eut arrêté la brochure si le parquet l’eut prévenu à temps. Ce n’est pas son fait, d’ailleurs, qui, au fond, est l’objet des sévérités de la justice. Voilà pour l’homme.

Examinons la question de principe, l’honorable défenseur rappelle, comme l’avait fait Me Dufaure, que dès l’abord le délit d’excitation à la haine et au mépris du gouvernement ne fut pas relevé contre la brochure. C’était l’opinion des agents même de l’autorité ; car voici une lettre du commissaire de police chargé de la saisie qui, rendant compte de l’exécution de son mandat, dit positivement à M. le Procureur Impérial, qu’il a été chargé de faire une perquisition contre M. Dumineray, inculpé d’offense publique envers un Prince de la famille Impériale. Un autre fait analogue et non moins grave, c’est le commencement de poursuites exercées contre le Courrier de Lyon, un journal ami, pourtant qui avait reproduit la page la plus énergique de la brochure. Pourquoi a-t-on déclaré qu’il n’y avait lieu à suivre contre ce journal, ce dont la défense est loin de se plaindre, et pourquoi déclare-t-on le contraire à l’égard de nos deux clients ? Que devient ainsi l’égalité devant la loi ?

Me Hébert, après avoir longuement discuté sur le cas du Courrier de Lyon, émet une longue théorie pénale sur le délit d’excitation à la haine et au mépris du gouvernement. La loi avait établi une sage distinction entre l’excitation et la discussion, même violente, même amère, des actes du gouvernement (la loi de 1822). La loi d’août 1848 avait aussi reconnu que toute censure des actes du gouvernement n’emportait pas nécessairement l’idée d’excitation autorités de Chassan, de M. de Serre, le Duc de Broglie, discussion des lois de septembre, citées compendieusement, puis viennent M.M. Persil, Faustin-Hélie, etc, etc, que tous reconnaissent que confondre ces nuances, c’est supprimer le droit de discussion sans lequel aucune société humaine n’est possible. Il y a plus, cette discussion a le droit et le devoir de s’exercer partout, même sur les actes du chef de l’Etat, puisque lui seul est responsable aujourd’hui.

Cette théorie est écrite dans la constitution, le chef de l’Etat a, lui-même, invité tous les citoyens à lui demander compte de toutes choses et surtout de la mauvaise gestion que pourrais faire tel ou tel agent de son autorité, mais au-dessus de la loi, dans la conscience, dans le bon sens de tous, qui doute de la puissance et de la vitalité de ce droit d’examen, de critique ou de blâme qui est comme une partie intégrante de notre intelligence ?

Exemples tirés de l’histoire ancienne etc, mission de la presse, qui n’est que l’instrument à l’aide duquel le citoyen expose ses griefs et défend ses droits, beaucoup plus efficacement qu’en s’adressant au Sénat ou au Corps Législatif qui n’ont que des prérogatives limitées.

Abordant la discussion des passages incriminés, Me Hébert constate d’abord les deux versions données par le compte rendu et pas la sténographie, du passage du discours où le Prince Napoléon avait si véhémentement caractérisé les haines et les désertions manifestées dans la famille des Bourbon et des d’Orléans. Le Prince répond à un Prince ; n’est-ce pas convenable ? L’offensé rejette à l’offenseur, avec une louable énergie, la protestation de la vérité, le cri de son cœur, l’écho de tous ses respects et de toutes ses affections froissées. Bourbon ou d’Orléans qu’importe ? Divisés sur des questions politiques, ces princes sont solidaires par la loyauté, par le malheur, par les traditions, par le patriotisme. Citation développée des pages de la brochure où M. le Duc d’Aumale répond aux accusations jetées à ses ancêtres.

Apologie du régime constitutionnel, dont les tiraillements mêmes et les luttes incessantes n’étaient que l’attestation d’une lutte féconde et de la virilité de ceux qui y prenaient part, pour la liberté et la grandeur du pays. La discussion, c’est la vie et le salut des peuples ; c’est parce qu’il y a des Néron, comme des Marc-Aurèle, qu’il faut qu’un pays soit toujours en situation de profiter de la bonté des uns, et de maîtriser les mauvaises passions des autres.

Apologie des Princes d’Orléans, déjà faite par Me Dufaure, de Louis Philippe leur père, qu’ils ne pouvaient laisser insulter surtout dans la forme et avec l’immense publicité que revêtait l’insulte, acceptée, propagée et endossée par le gouvernement quelle générosité y avait-il d’ailleurs à leur reprocher Philippe Egalité, dont ils ont toujours renié et déploré les fautes et l’aveuglement ? Le premier Napoléon ne faisait pas fi des régicides ; il en emplissait ses conseils. Vous parlez de sang royal versé ; mais cherchez bien ... (bruit)

M. le Président : Me Hébert je vous engage à rester dans l’affaire. Le Tribunal n’entend retenir que les quatre points marqués par la prévention, et pas autre chose.

Me Hébert : C’est aussi mon désir ; mais je ne puis parler des passages incriminés sans les lier à d’autres.

M. le Président : C’est pour cela précisément que je ne vous ai pas interrompu ; mais maintenant ; je vois que vous sortez de la question.

Me Hébert : Maintient que le droit de la défense lui permettrait d’aller plus loin, mais il défère au vœu du Tribunal et se borne à renouveler cette déclaration, que la brochure n’a pas dit tout ce qu’elle pouvait dire ; et qu’eut- elle été plus loin encore, elle n’eut été qu’un acte de légitime défense.

Les Prince d’Orléans ont préféré l’exil à cette dure alternative de reconquérir (et ils le pouvaient avec les 60,000 hommes de l’armée d’Afrique) le trône de leur père. Ce serait à recommencer qu’ils s’y résigneraient encore. Si c’est une faute, nous l’expions ; mais nous la commettrions encore, nous. Voilà ce qui explique le doux mouvement du gouvernement, et les dures pratiques et les violences heureuses ; 18 années, ou plutôt 32 années de régime constitutionnel avaient permis à la France de croire que la violence seule l’en déposséderait. Quand on a vu février et juin 1848, décembre et les mesures de sûreté générale, il est permis de parler de pratiques impitoyables. Le Prince n’a-t- il pas parlé, dans son discours, de fusiller bel et bien ? Il se fait plus méchant qu’il n’est sans doute ; mais enfin, quand une pareille menace tombe de cette hauteur et reçoit cette publicité, n’a-t-on pas le droit d’y répondre avec quelque énergie ? Sous le bon Roi Louis Philippe, on n’eut pas tenu ce langage dans une assemblée délibérante ; si aujourd’hui des menaces et des imprécations ont cours dans la langue parlementaire, c’est un des résultats du spectacle de ces violences heureuses dont parle la brochure.

Me Hébert s’engageant de nouveau dans les pages non incriminées de la brochure, est rappelé à la question, et y revient, non sans faire des temps d’arrêt sur les pages les plus injurieuses pour le chef de l’Etat qu’il lit sans commentaire et comme en ayant l’air de chercher autre chose.

Le reproche de politique double n’est pas une injure. Il ne dit pas au gouvernement. “Vous trompez tout le monde” Non il lui dit : vous vous engagez dans une politique dangereuse, à laquelle il faudra renoncer ; ce n’est pas même du blâme, ce n’est que de la discussion.

Après avoir insisté de nouveau sur la bonne foi de l’imprimeur, les libertés constitutionnelles, les droits de discussion et de censure, Me Hébert termine, comme Me Dufaure, par une citation empruntée à la page 132 des idées napoléoniennes, publiées en juillet 1839, chez Paulin, à Paris. Le passage, dit Me Hébert, est violent, terrible, passionné, injuste. Il ne fut pas poursuivi. Et pourtant, c’était au lendemain d’une émeute comprimée par la seule autorité des lois, au lendemain d’une tentative de régicide. Il arrivait à la veille d’un fait grave, que M. l’Avocat Impérial n’a pas compris dans la liste des assauts qui ont ébranlé le trône de juillet (mouvement) et après un fait semblable signalé par la clémence et par le repentir. Mais c’était l’œuvre d’un exilé, d’un homme malheureux, disposé à être injuste. Cet exilé réclamait des choses exorbitantes ; mais il avait un si beau nom ! le gouvernement se crut assez fort pour être indulgent. Personne ne fut inquiété. M. l’Avocat Impérial y trouve peut-être qu’on eut tort qu’on eut pu, qu’on eut dû poursuivre (mouvement), parce que le délit existait. Tant de zèle n’était pas alors à la disposition du gouvernement. Les Magistrats supérieurs eussent modéré les élans du parquet (on rit). Et cependant, quel langage, quelle dureté, quelles attaques, quelles excitations. Comparez ces pages avec celles que l’on vous demande de condamner, et demandez-vous si la discussion libre n’est pas préférable à un mutisme fruit de la crainte ! d’un autre côté, une attaque sans laquelle .., ... n’aurait pas eu lieu, attaque méditée ... qui est heureux et puissant, entouré, conseillé, éclairé, retenu ; et à qui s’adresse-t-elle ? A des exilés, à des Princes malheureux, et malheureux injustement. De l’autre côté, une défense d’un exilé, comme d’autres le furent, d’un exilé irréprochable, à qui l’on jette le reproche de ne s’être pas défendu en versant le sang de ses concitoyens, d’un exilé dont on outrage le père, et qui répond au nom des dieux, au nom de la patrie, au nom de ce qu’il a de plus cher. Dans une telle situation, on a le droit de trouver des organes et on en trouve ; et quand un imprimeur et un éditeur se dévouent à cette tâche, ils remplissent un devoir. Celui que je défends en est là, et vous prononcez son acquittement (agitation ... Le Tribunal se retire pour délibérer.

Après une heure et demi de délibération ; le Tribunal rentre en séance.

M. le Président, au milieu d’un religieux silence, donne lecture du jugement qui, reconnaissant les prévenus coupables du délit d’excitation à la haine et au mépris du gouvernement (voir le texte du jugement) condamne : Lemercier Dumineray, à 1 an de prison, 5,000 francs d’amende.

Beau, à 6 mois de prison et 5,000 francs d’amende, et ordonne la confiscation de la brochure saisie.

L’audience est levée à 5 heures et demi, au milieu d’une vive agitation.