le 1er mai 1862

 

Sire,

Je suis bien contrarié et presqu'honteux d'entretenir Votre Majesté de petites choses qui me concernent au mileu de ses occupations ; mais je ne sais auprès de qui réclamer au sujet des vexations et inadvertances auxquelles je suis en butte de la part du Moniteur.

Il y a quelques jours, en rendant compte de l'arrivée de la Reine de Hollande, le journal officiel disait que j'avais été à la gare et que la Princesse Mathide avait été à Compiègne. Le fait est inexact je me suis rendu avec ma femme à la rencontre de la Reine jusqu'à Creil. Cette annonce m'est désagréable en ce sens qu'elle semble témoigner moins d'empressement de ma part auprès de ma cousine que de la part de ma soeur.

J'ai envoyé au ministère d'état et le chef de cabinet de Monsieur Walewski a dit qu'il regrettait cette inexactitude qui lui était venue des Tuileries.

Dans le Moniteur de ce matin, à l'occasion d'une liste de souscription pour une nouvelle institution fondée par S.M. l'Impératrice, je suis porté en tête des souscripteurs. Je n'ai jamais entendu parlé de cette souscription et tout en étant fort honoré et naturellement fort empressé de concourir à une bonne oeuvre fondée par l'Impératrice, je crois que Son Excellence le ministre d'état aurait pu et dû me prévenir.

Ce qui m'est surtout désagréable, c'est que le Moniteur me désigne sous le nom de Prince Napoléon Bonaparte. Cette appellation est inexacte et peut donner lieu à des confusions avec mon cousin.

Je serais fort heureux de porter le nom de Bonaparte, et c'est ce que j'ai fait dans les premières années de l'Empire, jusqu'à ce que, sur l'ordre formel de Votre Majesté, lors de mon entrée au ministère de l'Algérie, je me suis borné à m'appeler Napoléon en ajoutant entre parenthèse le nom de mon père (Jérôme) Votre Majesté a cru que c'était plus conforme aux traditions dynastiques et, depuis, dans tous les actes officiels ou autres j'ai supprimé notre nom de famille.

J'ai lieu de trouver mauvais que le Moniteur ne sache pas mon nom et que ces irrégularités s'y glissent.

J'ai envoyé ce matin au ministère d'état, et le chef de cabinet de Monsieur Walewski, qui, je crois, corrige les épreuves du Moniteur, a dit qu'il avait copié une note qui lui avait été envoyée par Monsieur Frémy.

Je ne puis admettre de semblables explications qui me renvoient tantôt à un employé des Tuileries, tantôt à un employé du Crédit Foncier. Le ministère d'état est responsable de la rédaction du Moniteur ; il doit savoir les noms des membres de la famille Impériale, et vérifier s'ils sont convenablement indiqués.

Pour éviter ces mesquines discussions, qui se reproduisent sans cesse, j'avais prié Monsieur le Comte Walewski de ne jamais prononcer mon nom dans le Moniteur sans m'en prévenir préalablement par un mot, puisque toutes les fois qu'il s'agit de moi, le Moniteur commet des erreurs. Le ministère d'état ne tenant aucun compte de mes observations, il ne me reste à mon grand regret qu'à les transmettre à l'Empereur. Je ne demande au Moniteur que le silence sur moi ; quant à faire une rectification, elle serait inopportune et ridicule, et cependant ces petites vexations me blessent, et Votre Majesté doit vouloir les faire cesser.

J'ai cru devoir informer l'Empereur de ces faits, pour les éviter surtout à l'avenir, alors qu'à l'occasion des couches de ma femme, du baptême de mon enfant, ou d'autres cérémonies semblables, il faudra même contre mon désir que mon nom soit prononcé par le Moniteur.

Veuillez agréer Sire l'hommage du profond et respectueux attachement avec lequel je suis de Votre Majesté le très dévoué cousin.

 

 

P.S. manuscrit : Toutes les fois que c'est Votre Majesté qui agit directement elle est pour Clotilde et pour moi remplie de bonté et de bienveillance et au contraire toutes les fois que je suis en relation avec vos ministres je n'éprouve que des petites vexations. Un mot de l'Empereur peut seul les faire cesser.