Mon cher Magne,

J’ai reçu à la fois vos deux lettres. Les choses ne se sont pas passées absolument comme vous le croyez. Des exigences se sont sans doute produites, mais je les ai ignorées et ce n'et pas devant elles que je me suis retiré : la crise, à proprement parler, a duré pendant mes quinze jours de Fontainebleau et les différentes conversations que j'ai eues pendant ce temps m'ont donné l'impression que dans l'intérêt de mon repos comme dans l'intérêt de l'homogénéité du gouvernement, je devais sans hésitation poser la question d'incompatibilité; je l'ai posée nettement, elle a été résolue contre moi et je suis tranquillement à planter mes choux à Etiolles; voilà tout.

Je ne sais pas si rue de Rivoli on est bien triomphant; j'ai lieu plutôt de croire le contraire. Le feu concentré de l'ennemi a été dirigé particulièrement contre l’existence du Ministère d'Etat; on a réussi à le détruire et je ne vous cache pas que c'est peut-être ce que je regrette le plus dans l'affaire.

Je ne doute pas qu'en haut lieu on envisage les choses absolument au même point de vue que votre lettre de mardi. Qu'en résultera-t-il? Quelle en sera la conséquence ? Je ne le prévois pas. L'orage éclatera un peu plus tôt ou un peu plus tard. Ce que je crains c'est qu'il éclate beaucoup trop tard pour les intérêts du pays, pour ceux de l'Empereur et pour ceux des honnêtes gens.

Ai-je besoin de vous dire que la combinaison Billault n'est qu'une machine de guerre imaginée assez ingénieusement pour couvrir la mine et pour la faire éclater; mais trop inoffensive pour faire tomber un cheveu à qui que ce soit, si je n'avais pas pris soin moi-même, sans me préoccuper de savoir à qui restera la victoire, de la placer sur la traînée de poudre destinée à mettre fin à une lutte déjà beaucoup trop prolongée à mon sens.

Je crois encore que nous irons à Luchon au mois d'août ; toutefois nos projets sont très en l'air en ce moment.

Si vous avez quelques instants inspirez-vous de Michel Montaigne et envoyez-moi quelques bonnes pensées qui seront méditées et appréciées. De mon côté, je profiterai avec empressement de mes loisirs pour vous répondre et pour entrer sur ce qui vient de se passer dans des détails plus circonstanciés.

Mille amitiés.

A. Walewski

Etiolles, le 26 Juin 1863

P.S. J’ai été content de Rouher dans tout ceci ; Rouland et Delangle sont restés sur le carreau, je ne sais trop pourquoi ; Billault jure ses grands dieux qu’l n’a été avec personne contre personne ! Chasseloup ne se possède pas de joie d’avoir échappé au danger ; Randon est triste, Vaillant étonné et Baroche toujours malheureux quoique satisfait. Quant à Persigny, ses infortunes publiques