Etiolles, le 15 juillet

Mon cher Magne,

Je reçois votre lettre du 13 Juillet. Avant d'y répondre avec quelque étendue, je tiendrais beaucoup à savoir si ma lettre du 26 Juin vous est parvenue; je l'avais adressée au château de Michel Montaigne.

Nous avons renoncé à Luchon ; nous nous contenterons d'aller tout bonnement à Dieppe, dans les premiers jours d'août.

Mille amitiés

A. Walewski

[Réponse de Magne]

Répondu le 16 Juillet

Votre lettre du 26 Juin m'est exactement parvenue à Michel Montaigne avant mon départ pour le Mont Dore.

C'est dans cette lettre que vous avez la bonté de me promettre quelques détails sur les derniers événements. Vous répondez à une lettre de moi dans laquelle je les apprenais comme un aveugle peut apprécier les couleurs, puisque je ne savais et ne sait encore que fort peu de choses. Cependant Rouher m'a écrit que vous aviez cru pouvoir communiquer cette lettre à l'Empereur qui a du en rire. J'attends avec impatience votre réponse circonstanciée pour être en état d'avoir une opinion.

Il me semble qu'on fait bien du tapage du côté de l'Instruction Publique pour quelques changements de noms qui ne feront rien au fond des choses. On ne fera de meilleurs citoyens ni des hommes plus complets parce qu'on appellera philosophie ce que Rouland appelait logique.

Je vous parlais dans ma dernière lettre de la responsabilité ministérielle. Il me semble qu'on y arrive par un mauvais chemin, que les temps sont changés depuis l'époque où tout était rapporté à l'Empereur, surtout le bien ! Pendant mes douze années de Ministère, j'aurais cru manquer au plus essentiel de mes devoirs en faisant intervenir ma personne dans les mesures qui pouvaient avoir quelques faveurs auprès de l'opinion. Depuis le fameux exemple donné il y a deux ans, les ministres s'attribuent de plus en plus sans vergogne le tout le bien qui se fait, ce qui n'empêchera pas l'Empereur de continuer à être responsable de tout le mal vrai ou supposé qui pourra se faire. Si on appelle cela rester fidèle à l'esprit de la constitution, je n'y comprends plus rien. Je finirai par préférer la responsabilité véritable qui au moins mettrait à la charge des ministres le mal avec le bien. Ce serait logique comme était logique la constitution ... qui rapportait tout au souverain, les ministres étant purement et simplement les exécuteurs de sa volonté.