Paris, le 18 octobre

 

Mon cher Magne,

Votre lettre est venue très à propos non pas pour calmer mes inquiétudes car je ne croyais pas aux bruits répandus, mais pour les arrêter. Ce que vous me dites de la position de Rouland se vérifie déjà ; il va se trouver en présence de grandes difficultés et si elles ne sont pas  terminées on s'en prendra, j'en ai peur, à son inexpérience en matière de finances.

Pour le moment il est allé faire ses paquets en Normandie.

Vos prévisions sur la concorde qui présidera aux rapports des deux ministres sortants paraissent bien se vérifier aussi.

Fould n'est pas aussi content de la convention du 15 septembre que le premier jour. Il entrevoit de graves embarras pour lui, embarras auxquels le Mexique, la Banque et l'Algérie pourraient bien ajouter aussi. Cependant sa santé est meilleure et ses dispositions de servir l'Empereur et la France jusqu'à sa dernière heure plus prononcées que jamais.

Quant à moi depuis l’accident Rouland pour lequel je m’étais remis en campagne, je me tiens plus éloigné encore que l'année dernière ; je ne demande et n'aspire qu'au repos.

Il y a huit jours l'Empereur a fait venir Rouher pour lui demander de s'occuper sérieusement de votre projet concernant le Conseil privé.

J'ignore absolument ce qui s'est passé dans la conférence de Sa Majesté avec son Ministre d'Etat ni quelles en ont été les conséquences !

Persigny s'agite, Rouher se recueille. Drouyn de Lhuys s'inquiète et s'émeut. Fould médite sur les moyens de garder sa place. Boudet va son petit bonhomme de chemin plein de confiance et de contentement, Behic travaille et regarde beaucoup autour de lui.

Randon travaille mais ne se donne pas la peine de regarder. Chasseloup commence à se rassurer. Quant à Baroche, il est toujours le même je ne sais si cela vous en dira beaucoup. Je ne vous parle pas de Duruy ni de Vaillant. Quant au maître il médite, il ajourne, il hésite et il attend ; il ne se soucie pas de parler, il aime mieux donner la parole aux événements. L'initiative lui plait peu, un peu gâté par la fortune, il se fie peut-être trop à la maxime : "Tout vient à point à qui sait attendre" en oubliant totalement cet autre adage "aide toi le ciel t'aidera !"

Mille amitiés.

A. Walewski