Villa Irène, le 9 juillet

Mon cher Magne,

Si votre rapport du mois de janvier était une bonne leçon à l’adresse du charlatanisme, vos discours en renferment encore une bien plus utile à méditer, à l’adresse des grands tournois oratoires si rarement profitables au gouvernement et toujours si avantageux à l’opposition.

Vous tenez à justifier la devise que vous avez adoptée : « la vérité » et vous avez raison.

Votre langage précis, simple, dépourvu de toute espèce de boursouflure allant droit au fait et éminemment topique déconcerte l’opposition qui n’aime que le terrain de la déclamation, de la violence pour passionner le débat et qui craint à juste titre le terrain des faits sur lequel le gouvernement a sur elle un avantage incontestable.

La violence amène naturellement la violence mais la modération, la courtoisie embarrasse beaucoup ceux qui ont besoin pour satisfaire leur auditoire et surtout leurs adhérents de la colère des invectives en un mot de la passion !

Je désire ardemment non pas dans votre intérêt mais dans notre intérêt à tous qu’on comprenne enfin en haut lieu de quelle façon il faut être défendu, que l’on comprenne enfin que ce n’est pas avec des paroles plus ou moins éloquentes mais avec de bonnes raisons nettement et froidement exposées qu’un gouvernement doit vaincre ses adversaires.

Vos trois mots sur le Mexique feront plus d’effet dans l’opinion publique et seront plus efficaces pour défendre l’aventure mexicaine que des philippiques ou des catilinaires débitées le mieux du monde.

Votre explication simple et précise des causes qui ont nécessité les emprunts et le tableau de l’augmentation des recettes en opposition à l’augmentation des dépenses, en disent plus sur l’état véritable de nos finances que les plus beaux discours aussi je vous redis Bravo. Je me permets seulement de refaire votre devise : « simplicité, lucidité, vérité »

Vous avez tout fait pour faire disparaître la fantasmagorie dont on se sert si habilement pour se rendre indispensable ; et si malgré cela on veut se complaire dans les ténèbres ce ne sera pas votre faute ; mais comme je suis près de Genève, j’aime à répéter avec les habitants de la ville de Calvin : « post tenebras lux ».

Je ne vous parle pas de moi, car je n’ai rien de nouveau à vous en dire ; je jouis de mon repos, je juge les choses avec impartialité, je les vois de loin et c’est souvent le meilleur moyen de les juger bien.

Ajouterai-je que j’attends ? Eh bien non. Une seule chose me donnerait le désir de rentrer en lice, c’est le sentiment de mon utilité. Or je commence à croire que n’ayant ni la faculté de la parole, ni l’esprit d’intrigue, ni la flexibilité d’un courtisan, je ne suis plus bon à grand-chose. Il fut un temps où j’avais l’illusion et la foi, où j’avais confiance dans mes forces et dans ma destinée mais en présence du triomphe incessant du faux, du clinquant, en un mot du charlatanisme je me suis découragé et n’étant plus d’âge à lutter, je cherche dans le calme et dans la retraite les satisfactions que je ne trouve plus dans la vie militante. Voilà une bien profonde divagation. Que voulez-vous, la nature, le lac, les montagnes etc. portent à la philosophie !!!...

Ecrivez-moi un mot si vous en avez le temps.

 

Mille amitiés de tout cœur

A. Walewski