[En tête : Villa Irène
 Amphion près Evian]

 24 juillet

 

Mon cher Magne,

Je profite d'une occasion sûre pour vous écrire deux mots.

J'ai suivi avec attention les débats interminables du budget. La discussion vous a été favorable en tous points et je m'en réjouis.

Toutes les nouvelles directes ou indirectes qui me parviennent confirment amplement cette appréciation.

Votre position est excellente et beaucoup plus forte qu'avant la discussion. Niel et Rigaud ont gagné du terrain, Forcade n'en a pas perdu; P… n'a pas répondu à ce qu'on attendait de lui, Baroche et Duruy ont passé inaperçus, Moustiers a parlé! Quant aux deux orateurs du gouvernement ils ont semblé vouloir se reposer des précédentes discussions ; Rouher s'est attaché à l'Algérie comme fiche de consolation et Vuitry s'est résigné.

Décidément nous sommes en plein gouvernement parlementaire, toutefois le président, dont Dieu me garde de médire, fait trop d'esprit et se trouve parfaitement satisfait quand il croit avoir décroché quelques bonnes pointes à l'adresse de la gauche, mais ses pointes sont bien émoussées et en attendant il lâche tout, tout ...

Il devrait bien lire un peu les présidences de Dupin.

Entre Rouher et lui je trouve une grande analogie. C’est que l'un et l'autre travaillent pour la galerie et pourvu qu'ils obtiennent force applaudissements peu leur importe de perdre la partie.

Voilà mes observations, faites à vol d'oiseau et peut-être peu fondées ... enfin.

On m'a beaucoup écrit de votre différent avec Rouher, qu'en est-il?

L'Empereur est parti pour Plombières, de fort belle humeur m'assure-t-on, mais disposé à préparer un enfantement dont je ne saisis que trop la raison d'être mais dont je comprends moins la conséquence; qu'en sortira-t-il ? Que faut-il en sortir ? La montagne qui accouche d'une souris. Quelques replâtrages sans couleur et qui auront pour effet de rendre l'unité encore plus impossible.

L'unité ! Vraie et peut être seule planche de salut.

Difficile à réaliser, j'en conviens, mais qui devrait être au moins le but de tous les efforts et qu'on craint, qu'on évite, qu'on élude au lieu d'y tendre par dessus tout.

Nous avons été bien tristes ces jours-ci de la mort d'un de nos amis dévoués, le pauvre Marchand laisse une femme et deux fils sans fortune. Il n'avait que son traitement pour vivre. Y aura-t-il moyen de faire quelque chose pour la veuve ?

C'est Chatelain qui vous poste cette lettre. Veuillez ne pas l'oublier et si après la session vous pouvez faire surgir une vacance, vous le ferez n'est-ce pas ?

Les alouettes tombent rarement toutes rôties dans la bouche et les vacances apparaissent rarement si on n’y aide pas un peu. Vous y aiderez plus qu'un peu.

Je suis dans ce moment en correspondance avec les Landes on voudrait que j'allasse présider le conseil général, et il fait si chaud, les chemins de fer dans cette saison sont des fournaises et pour parvenir jusqu'à Mont de Marsan, il faut tant de détours !!

Ma femme se rappelle à votre souvenir ; nous avons eu de bonnes nouvelles de madame Magne ce qui nous a fait, croyez-le, un bien grand plaisir.

 

Mille amitiés sincères

A. Walewski