Discours au Sénat 


Il est des questions d’un ordre supérieur qui dominent les événements et qu’on ne saurait apprécier à leur juste valeur qu’en se plaçant à distance et qu’en les dépouillant des complications secondaires qui tendent trop souvent à les dénaturer.

Celle qui vous occupe rentre dans cette catégorie :

Voyons la comme la verra la postérité, jugeons la comme la jugera l’histoire.

Une révolution oblige le Pape de fuir loin de ses Etats ; - la République française fait le siège de Rome, dompte la révolution qui s’était parée du nom de République Romaine et ramène Pie IX dans sa capitale.- Le Saint Père confiant dans la protection de la France rentre au Vatican.- Cette protection ne lui fait pas défaut et la présence d’une armée française, en décourageant les anarchistes, fait peu à peu renaître le calme et la tranquillité ; - et cela à un tel point que Pie IX exprime lui-même l’espoir d’être bientôt en mesure de se passer du concours qui lui est prêté.
Mais, une guerre éclate en Italie ; - une agitation générale parfois grande et nationale, mais parfois aussi – révolutionnaire et anarchiste, se manifeste d’un bout de la Péninsule à l’autre ;
Cette guerre à laquelle la France prend part, - surexcite les esprits dans les Etats Pontificaux ; - et, partout où le drapeau français ne flotte pas, les populations s’insurgent et se soustraient à la domination de leur gouvernement.

Tout en protestant contre les spoliations dont il est victime, - le Pape plein de confiance dans les sentiments de l’Empereur, - continue à exercer son autorité sainte au milieu des perturbations, des embûches, des tentatives de toute nature dont il est entouré ; -

Il sait qu’il n’a rien à redouter ni des passions révolutionnaires, ni de la convoitise de ses ennemis, - car c’est la parole de la France qui le sauvegarde.

Et on pourrait croire que la France consentirait à livrer le Pape !?

Ne serait-ce pas le livrer en effet que de rappeler nos soldats si une autre force armée, imposante et fidèle, n’était pas prête à les remplacer ?

Ne serait-ce pas le livrer que de le laisser faible et désarmé – en présence d’adversaires puissants et hostiles ?

Non Messieurs une telle supposition n’est pas admissible et l’histoire ne dira pas que Napoléon III régnant, - Pie IX ramené à Rome par les armées françaises, a été abandonné par la France et obligé de fuir devant ses ennemis victorieux.

Ceux qui ont pu craindre ou espérer que la Convention du 15 septembre aboutisse à un tel résultat se sont mépris, - tenez le pour certain.

Cela ne sera pas parce que cela ne peut pas être.

Il faudrait méconnaître étrangement la pensée qui a présidé à la Convention pour l’interpréter de la sorte.

Il est facile de démontrer que rien dans son texte n’autoriserait une semblable interprétation et que tout ce qui est de nature à en préciser la portée, y est diamétralement opposé.

Pour apprécier l’esprit de cette transaction, il est indispensable de se rendre compte de la situation relative des parties contractantes au moment où elle a été conclue.

Je vous demande la permission, Messieurs les Sénateurs, - de vous dire à quel point de vue je me place pour me livrer à cet examen impartial et consciencieux.

Je n’ai jamais cessé de former les vœux les plus sympathiques pour l’Italie. Je lui souhaite tout ce qu’on peut souhaiter à une grande nation : la prospérité, la force, la liberté et surtout l’indépendance ; - Je lui souhaite tout cela parce que tout cela est dans l’intérêt de la politique française.

Ce que je lui souhaite encore, c’est la sagesse qui sait résister aux enivrements du succès et qui seule permet de mener à bonne fin les grandes entreprises.

Je lui souhaiterais même l’unité, - si l’unité lui était souhaitable,- car je ne suis pas de ceux qui craignent que l’Italie devenant un puissant Etat, fut disposé à chercher d’autres alliances et à se séparer de nous. –
Dans les rapports internationaux, à la vérité, - la reconnaissance est un vain mot ; - mais ce qui pour longtemps au moins, doit nous répondre de l’Italie, c’est son intérêt !

Toute la question à mon sens se borne donc à savoir s’il est bien dans l’intérêt de l’indépendance de l’Italie de poursuivre l’unité ? – Si ce n’est pas courir après une chimère ? – Si, enfin, compromettre tout ce qui est acquis pour un résultat aussi problématique, n’est pas une grande faute ?

Le Comte de Cavour était certainement un grand patriote, - doué d’une persévérance infatigable et d’une audace poussée jusqu’à la témérité. J’ai souvent admiré la hardiesse de ses conceptions, - même lorsque je ne les approuvais pas, - mais j’ai été étonné qu’après les préliminaires de Villafranca, - il n’ait pas compris que l’heure de la témérité était passée et que celle de la sagesse avait sonné :
Le nouveau Royaume Lombardo-Piémontais était un Etat assez puissant et assez riche d’avenir pour justifier un temps d’arrêt. –
Qui peut contester, que ce nouvel Etat fortement constitué, ne renfermait pas dans son sein les destinées futures de la péninsule italienne ? –
Il eût été le point de mire de toutes les aspirations nationales et, en toutes circonstances, le véritable bouclier de toute l’Italie contre les coups de l’étranger.

Le Comte de Cavour avait trop de perspicacité pour que les chances d’un semblable avenir lui aient échappé- et- s’il leur a préféré les chances aventureuses d’une politique d’expansion, c’est sans doute par des considérations indépendantes de sa haute raison :
On a prétendu qu’il ne s’est pas senti la force de résister au courant qui emportait les Italiens vers un but hérissé d’aussi grandes difficultés.-

Si tel en effet a été le mobile de sa conduite, il commettait à la fois une grande faiblesse et une grande erreur ; - Il aurait dû se rappeler qu’on ne transige pas impunément avec la Révolution et que loin de la désarmer par des concessions on met au contraire entre ses mains des armes qu’elle a toujours su tourner contre ceux dont elle les tenait.

Lorsque le pouvoir est fort il peut et doit – confiant dans sa force, aller au devant des vœux de ceux qu’il gouverne ; - alors il peut sans danger faire spontanément des concessions en se maintenant dans la stricte limite que lui trace son propre jugement.

Un grand exemple a été donné au monde à cet égard et – pour mon humble part - je me glorifierai toute ma vie d’avoir été appelé à l’honneur de contresigner le décret du 24 novembre.
Il n’est certainement pas de liberté qui n’ait ses écueils ; mais malgré le dénigrement des envieux et les appréhensions des timides, - on peut affirmer que rien de sérieux n’a été de nature à inspirer le moindre regret au souverain éclairé qui avait jugé le moment venu d’associer plus intimement à sa politique les Grands Corps de l’Etat.
Oui, Messieurs, je le répète, - des concessions faites dans cette mesure ne sont pas dangereuses ; - mais céder aux factions, - leur sacrifier ce que la raison prescrit, - ce qu’une sage politique ordonne, - c’est une faiblesse sans but comme sans résultat au moyen de laquelle on n’a jamais ramené personne ; - c’est se placer sur une pente où il devient difficile de s’arrêter ; c’est livrer l’honneur, la prospérité, l’avenir de son pays à des hasards qu’on aurait vainement la présomption de vouloir maîtriser.

Si Monsieur de Cavour eût opposé aux chances aventureuses de l’unité les chances tout aussi glorieuses et bien plus certaines du développement régulier d’un Etat limité, - il aurait été plus qu’un grand patriote ; - la postérité l’aurait considéré comme un des plus grands hommes d’Etat de son temps. –
Car ce qui constitue l’homme d’Etat, ce n’est pas seulement le pensée c’est aussi l’action : - pour mériter ce titre il ne suffit pas de concevoir et d’exprimer, il faut encore savoir agir ; - il faut savoir proportionner le but aux moyens, - il faut enfin avoir le courage d’affronter la lutte et même – l’impopularité- pour faire prévaloir ses desseins ; -
Impopularité au surplus, - toute momentanée, - car les nuages qui obscurcissent la raison des peuples se dissipent promptement ; - la vérité se fait bientôt jour, et le bon sens public sait faire justice d’une défaveur imméritée.

Adoptant la politique de l’unité, le Gouvernement italien a été obligé de prendre pour principe la violation flagrante des traités existants ; -
Or si le respect des traités est la condition normale des Etats consolidés, c’est bien plus encore la condition indispensable et absolue des Etats qui se constituent ou qui se transforment :
Ils ont besoin de donner l’exemple de la fidélité aux engagements et du respect aux droits acquis, dans les rapports internationaux, pour faire respecter à l’intérieur la règle base essentielle de toute société qui se fonde.
C’est ainsi qu’ont toujours pensé ceux auxquels la Providence a délégué la mission de fonder des Empires. – Le temps et les événements qui sont au dessus de la volonté des hommes – modifient, détruisent parfois les traités qui n’ont plus raison d’être. – Il est très naturel que le but d’une politique loyale soit d’arriver légalement, - si je puis m’exprimer ainsi, à modifier les traités onéreux conclus dans les jours de malheur. – Mais il est regrettable d’être obligé de poser sa base sur la violation des traités existants.-
C’est contre une telle politique qu’a protesté si habilement et si utilement notre auguste souverain par ces paroles mémorables : « L’Empire c’est la paix. »
Ce qui n’a jamais voulu dire que l’Empire ne ferait pas la guerre, mais ce qui signifiait que l’Empire respecterait les stipulations internationales, en acceptant les devoirs qui en résultent, sans réserve et sans arrière-pensée.
Une autre difficulté non moins regrettable de la politique de l’unité, c’était la nécessité d’accepter le concours du drapeau révolutionnaire dont, quoiqu’on fasse, la Maison de Savoie sera toujours séparée par un abîme infranchissable.
D’un autre côté proclamer l’unité c’était se placer avant même d’être constitué – en état d’hostilité flagrante envers l’Autriche et, par suite, s’imposer l’obligation d’improviser une armée et une administration en disproportion avec ses moyens et de nature à créer une situation financière grosse de catastrophe.
Enfin, comme conséquence du principe absolu qu’on adoptait, force était de convoiter Rome au risque de s’aliéner le catholicisme tout entier.
Voilà la situation où plaçait l’Italie ceux, qui par entraînement ou par enivrement du succès, voulaient poursuivre à tout prix ce but peut-être chimérique de l’Unité italienne.

Une fois dans cette voie il était difficile à Mr de Cavour de s’arrêter : il provoqua un vote de l’assemblée qui déclarait Rome capitale de l’Italie ; - oubliant qu’une semblable déclaration était en contradiction avec l’attitude de la France.
Dès lors les rapports entre Paris et Turin ne reposant plus sur une complète similitude de vue, - devaient s’en repentir :
Le Gouvernement de l’Empereur n’avait pas approuvé les tentatives faites pour insurger la Sicile ; - il avait blâmé l’intervention de l’Armée piémontaise dans le Royaume de Naples ; - il avait protesté contre son entrée dans les Marches et l’Ombrie.
L’ordre du jour qui déclarait Rome, capitale de l’Italie, n’était pas de nature à calmer son mécontentement. – Il est vrai qu’à cette déclaration on avait ajouté ce palliatif : « avec le consentement de la France ».
Mais c’était à la déclaration elle-même qu’il fallait obtenir le consentement de la France, si on tenait, à Turin, - autant qu’on le devait, - à marcher d’accord avec la politique française.
Toutes les tentatives directes ou indirectes pour obtenir un assentiment explicite ou implicite, du Gouvernement de l’Empereur aux vues si imprudemment manifestées par le Parlement Italien furent repoussées et l‘Empereur daigna lui-même , - dans plusieurs circonstances , - faire connaître sa ferme résolution de maintenir le Pape à Rome et son refus d’entamer à cet égard avec l’Italie une négociation qui manquait si essentiellement de base.
Les différents projets mis en avant par Mr de Cavour et ses successeurs n’eurent pas un seul instant- (la publication des documents en fait foi) – la chance d’être acceptés par la France ; - et si, en dernier lieu les négociations ont pu être reprises, - c’est que la base qui manquait si essentiellement était trouvée et que cette base était de nature, en modifiant dans son essence la politique du Gouvernement Italien, à rendre possible ce qui était absolument impossible la veille.
En effet, en présence de la déclaration du Parlement de Turin désignant Rome pour capitale de l’Italie, comment le Gouvernement de l’Empereur, - à moins d’être décidé à abandonner le Pape, - pouvait-il traiter – avec le cabinet de Turin – de l’évacuation de Rome par nos troupes ?
Il fallait pour entrer en négociation que l’Italie, au préalable, anéantit par un fait positif la portée de la déclaration de Turin, après laquelle, - on ne saurait trop le répéter, - la France ne pouvait retirer ses troupes de Rome sans livrer le Pape.
La désignation d’une autre Capitale n’aurait même plus suffi ; il ne fallait rien moins que le fait lui-même, c'est-à-dire le transfert accompli du siège du Gouvernement dans la ville destinée à devenir définitivement la Capitale de l’Italie, pour détruire la défiance universellement répandue sur les intentions du Gouvernement Italien relativement à la question romaine.
Aussi prétendre que la renonciation à Rome ne ressort pas de la Convention du 15 septembre, c’est en méconnaître l’esprit, c’est nier l’évidence.
Si le Gouvernement de l’Empereur qui jusqu’alors avait repoussé tous les projets d’arrangement – a consenti à négocier, - c’est uniquement parce qu’il a considéré que le fait du transfert de la Capitale à Florence permettait – et permettait seul- d’entrevoir la possibilité d’une conciliation entre le Roi d’Italie et le Pape, - conciliation qu’il n’avait cessé d’appeler de tous ses vœux.
Mais cette conciliation de quelle nature peut-elle être ?
Telle est la question qu’il faut aborder nettement, franchement, en la dépouillant de toutes les équivoques dont on a que trop cherché à l’entourer.
Qui dit conciliation ne dit pas absorption – et certes s’il s’agissait de la chute du pouvoir temporel, s’il s’agissait de faire du chef de l’Eglise catholique, un simple évêque de Rome en lui donnant une existence somptueuse et le Vatican pour demeure, ce serait une véritable absorption de la papauté par le Royaume d’Italie. –
La conciliation ne peut s’entendre de bonne foi que par un rapprochement sincère entre le Pape et le Roi d’Italie, - rapprochement reposant sur les bases d’un intérêt commun ; - et pour qu’un pareil rapprochement soit admissible, pour qu’une négociation puisse être entamée entre les deux Etats, il faudrait , au préalable, que le Gouvernement Italien eut le courage de proclamer hautement qu’il a renoncé à toute prétention sur Rome ; pour être efficace il faudrait que cette déclaration partit de la conviction qu’elle est dans l’intérêt de l’Italie, - l’Italie étant intéressée plus que toute autre Puissance du monde à ce que le Pape reste à Rome.
Une semblable renonciation d’ailleurs, ferait tomber, une fois pour toutes, les espérances illusoires qu’on a que trop cherché à entretenir. Avec ces espérances disparaîtront tous les ferments d’agitation et de trouble contre lesquels le St Siège ne saurait lutter sans le concours d’une force étrangère !?
Est-il besoin d’insister sur l’impossibilité absolue d’un arrangement fondé sur d’autres bases que celles que je viens d’indiquer ? – Si, par impossible, il était un Pape disposé à abdiquer le pouvoir temporel et résigné à réduire son rôle à celui d’un simple évêque de Rome, mais son prestige s’évanouirait, et il cesserait d’être le chef de la Catholicité ; - car qui pourrait admettre que celui dont relève les ministres de la religion, que celui qui aux yeux des fidèles, est le représentant de Jésus Christ sur la terre soit dans la dépendance d’un souverain étranger dont il serait forcément le sujet ! – Permettez moi Messieurs les Sénateurs, d’invoquer à cet égard une autorité que vous ne récuserez pas, - celle de Napoléon 1er.

J’ai dit que je n’étais pas de ceux qui pensaient que la réalisation de l’Unité Italienne fut contraire aux intérêts de la France ; - mais si pour atteindre ce but, il fallait que Rome devînt la capitale et que le chef de l’Eglise catholique devînt le sujet du roi d’Italie, - je n’hésiterais pas à repousser une semblable solution, la considérant comme inadmissible pour la France.

La Convention contient deux stipulations également importantes et qui s’enchaînent : l’une a pour but d’assurer au Gouvernement Pontifical des ressources pécuniaires, l’autre de mettre entre ses mains une force militaire. Or n’est – il pas évident que si les aspirations de l’Italie vers Rome subsistent ces deux stipulations deviennent inexécutables ? – En effet comment espérer que le Saint Siège consente à entrer en arrangement (même lorsque cet arrangement n’implique pas la reconnaissance des faits accomplis) avec une Puissance dont le but avoué serait de posséder Rome?
et ces deux stipulations restant inexécutées, celle qui stipule l’évacuation ne saurait l’être davantage.
Le transfert de la capitale à Florence doit être considéré comme la négation de l’ordre du jour du parlement de Turin.
– Que le Gouvernement Italien ait donc le courage de ne pas s’arrêter dans la voie salutaire où il est entré ;
- Qu’il ne craigne pas de déplaire à une minorité factieuse qu’il essaierait en vain de ramener, car elle n’oubliera jamais qu’il se fonde sur le principe monarchique ;
- Qu’il se pénètre des avantages réels et incalculables pour l’Italie de posséder dans son sein le chef de la Catholicité ;
- Qu’il se rappelle que qui veut la fin veut les moyens
Et dès lors la conciliation ne sera plus impossible.
Il y aura encore, j’en conviens, des difficultés à surmonter, - mais une négociation ouverte dans ces conditions et avec l’aide de la France, une négociation dans laquelle les Négociateurs Italiens imbus de l’importance du résultat à obtenir, - s’inspireraient du premier Consul de la République Française
« Il faut traiter avec le Pape comme s’il avait 200000 hommes ». Une pareille négociation ainsi conduite, si elle n’aboutissait pas immédiatement à un résultat définitif, aurait la chance au moins d’amener un rapprochement dont on pourrait espérer les plus heureuses conséquences.
Et, par contre, si le cabinet de Florence ne se décide pas à marcher résolument dans ces voies il est plus que présumable que la Convention du 15 septembre restera sans résultat : - J’ai été appelé moi-même à déclarer au Congrès de Paris que le Gouvernement de l’Empereur considérait l’occupation des Etats Pontificaux par des troupes étrangères come un fait anormal ; - mais, pour y mettre fin, il faudrait –ai-je ajouté-, - que les troupes françaises puissent évacuer sans inconvénient les Etats Pontificaux, c'est-à-dire, sans compromettre la sécurité intérieure du pays et l’autorité du Gouvernement du Pape.
Or pourrait-on affirmer que la situation actuelle de l’Italie est bien normale ?! – Et avant qu’elle le devienne et que l’évacuation de nos troupes puisse s’effectuer dans les conditions indiquées au Congrès de Paris aucune Puissance bien certainement n’aurait le droit de s’étonner qu’elle n’ai pas lieu, – encore moins de demander qu’elle s’effectue.
Voudrait-on par hasard mettre en avant le principe de non intervention ? – On a pu parfois fort utilement et fort sagement proclamer ce principe applicable à telle ou telle circonstance particulière, mais vouloir en faire un principe général ce serait se heurter contre une impossibilité par trop évidente.
– Si le principe de non intervention doit s’appliquer aux démêlés existants entre deux Etats indépendants ;
-Des intérêts d’un ordre supérieur ont si souvent obligé d’en dévier dans le passé ; -
-Et, dans l’avenir, on peut prévoir tant de cas divers où il faudrait s’en écarter, qu’il n’y aurait guère à s’en prévaloir quand il s’agit surtout d’une question où l’honneur et la dignité de la France sont directement engagés.
Si, au contraire, le principe de non intervention ne doit s’appliquer qu’à la guerre civile qui éclate entre un Gouvernement et ses sujets, il serait bien difficile de l’appliquer aux affaires d’Italie : car il faut naturellement tenir la balance égale et si ce principe ne permet pas d’intervenir en faveur du Gouvernement contre ses sujets, il ne peut pas permettre non plus d’intervenir en faveur des sujets contre le Gouvernement ; autrement il y aurait deux poids et deux mesures, ce qu’on ne saurait admettre, du moins quand il s’agit de principes :
Or en poursuivant la politique de l’unité, le Cabinet de Turin s’est vu contraint de violer plus d’une fois le principe de non intervention. – Sans parler des volontaires Garibladiens, on ne peut oublier que c’est l’armée du Roi Victor Emmanuel qui a déterminé à Vulture et à Gaëte, la défaite du Roi de Naples et que la même armée, dans l’Ombrie et dans les Marches, a soutenu les sujets du Pape contre leur Souverain !
D’ailleurs lorsque le principe de non intervention serait admis sans conteste ; s’il était à ce principe une exception forcée, ce serait bien certainement celle qui aurait rapport aux Etats du Pape. Comment en effet contester aux Puissances catholiques le droit de prendre un intérêt spécial à l’existence d’un Etat qui assure la souveraineté et l’indépendance du chef de leur église ? – Comment leur contester le droit de le défendre contre les agitations suscitées par des influences étrangères ? – Et lors même que l’exemple du Gouvernement Italien intervenant en faveur des sujets du Pape, ne suffirait pas, en règle générale, pour justifier une intervention en faveur du Pape, ne serait-il pas bien difficile d’invoquer le principe de non intervention pour empêcher les Puissances Catholiques de porter secours au Saint Père et de sauvegarder le Pouvoir temporel, base si essentielle de leur foi religieuse ? !
Il faut le dire en passant, cette situation n’a pas été assez prise en considération par ceux qui mettent tout en œuvre pour hâter le départ de nos troupes de Rome. – Si le Gouvernement Italien lui-même avait mûrement considéré la fragilité de la base sur laquelle repose le principe de non intervention appliqué à cette éventualité et l’insuffisance des arguments par lesquels on pourrait le soutenir, loin de presser le rappel de nos troupes, il insisterait peut-être pour l’ajourner.

Il est une autre raison qu’on fait valoir pour décider la France à abandonner le Pape :
On ne tient dit-on à Rome aucun compte de nos conseils et de nos justes représentations ; - et non seulement l’esprit de conciliation ne préside pas aux actes du Gouvernement Pontifical mais ces actes marqués au coin de l’imprévoyance le sont aussi aux coins de l’ingratitude.
Lors même que ces allégations ne seraient pas exagérées, sont-elles de nature à modifier notablement la situation ? Je ne le pense pas, car ils ne sauraient affaiblir l’intérêt majeur qui impose à la France de soutenir le chef de l’Eglise catholique, ni altérer les conditions d’honneur qui ne lui permettent pas de le livrer à ses ennemis.
Nous ne saurions d’ailleurs être à aucun degré responsables des actes du saint Siège qui sont en désaccord avec nos principes et nos idées ; - Et quelque soit le sens véritable qu’il convienne d’attacher à une Encyclique sur la portée de laquelle l’opinion des juges les plus compétents, des Prélats les plus éclairés, est si loin d’être d’accord on ne peut pas la considérer ni comme un témoignage du mauvais vouloir de la Cour de Rome envers la France ni comme un acte de représailles à la signature d’une Convention dont le Gouvernement Pontifical n’a aucune raison de s’alarmer.
Le bruit qui s’est fait autour de cette encyclique n’est bien certainement ni dans l’intérêt de l’Eglise, ni dans celui du Gouvernement ; Il n’est que dans l’intérêt des éternels ennemis de l’ordre et de la Religion.