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Monsieur le Comte de Cavour était certainement un grand patriote, doué d’une grande persévérance et d’une audace poussée jusqu’à la témérité.
J’ai souvent admiré pour ma part la hardiesse de ses conceptions, même lorsque je ne les approuvais pas ; mais j’ai été surpris qu’après les préliminaires de Villafranca, il n’ait pas compris que l’heure de la témérité était passée et que celle de la sagesse avait sonné.

Le nouveau royaume Lombardo-Piémontais était un état assez puissant et assez riche d’avenir pour justifier un temps d’arrêt. Et qui oserait contester que ce nouvel état fortement constitué n’eût pas renfermé dans son sein les destinées futures de l’Italie ? Il eût été le point de mire de toutes les aspirations nationales et en toutes circonstances le véritable bouclier de l’Italie contre les coups de l’étranger.
Si l’idée d’une fédération s’était réalisée le nouveau royaume en aurait été l’âme ; par la force des choses il l’aurait réglé, dirigé, gouverné en ….
Le Comte de Cavour avait trop de perspicacité pour que les chances d’un semblable avenir lui aient échappé et pour qu’il leur eût préféré les chances aventureuses d’une politique d’expansion.
On a prétendu à tort ou à raison qu’il ne s’est pas senti la force de lutter contre le courant qui emportait les Italiens presque malgré eux vers la réalisation d’un but aussi hérissé de difficultés que l’unité.
Si tel en effet a été le mobile de sa conduite il commettait à la fois une grande faiblesse et une grande erreur. Il aurait dû se rappeler qu’on ne transige pas impunément avec la révolution et que loin de la désarmer par des concessions on met au contraire entre ses mains des armes dont elle n’a jamais manqué de faire usage.
Lorsque le pouvoir est fort, il peut et doit, confiant dans sa force, aller au-devant des vœux de ceux qu’il gouverne, alors il peut sans danger faire spontanément des concessions, il peut sans danger entrer dans les voies libérales en se maintenant dans la stricte limite que lui trace son propre jugement. Oui, MM, un grand exemple a été donné à cet égard et pour ma part, je me glorifierai toute ma vie d’avoir été appelé à l’honneur de contresigner le décret du 24 novembre. Il n’est certainement pas de liberté qui n’ait ses écueils ; mais malgré le dénigrement des envieux et les appréhensions des trembleurs, je peux affirmer que ce qui s’est passé depuis ce décret ici comme dans une autre enceinte, n’est pas de nature à inspirer le moindre regret à celui qui a jugé le moment propice pour donner une plus grande part dans la direction des affaires publiques aux grands corps de l’Etat.
Oui, MM, je le répète les concessions faites dans cette mesure ne sont pas dangereuses ; mais céder aux partis, aux factions, leur sacrifier ce que la raison prescrit, ce qu’une sage politique ordonne, c’est une faiblesse sans but comme sans résultat, c’est se placer sur une pente où il devient impossible de s’arrêter, c’est livrer l’honneur, la prospérité, l’avenir de son pays à des hasards qu’on voudrait en vain maitriser.
Si Monsieur de Cavour eût préféré aux chances aventureuses de l’unité, les chances tout aussi glorieuses et bien plus certaines du développement régulier d’un état limité, il n’aurait pas été seulement un grand patriote, mais la postérité l’aurait considéré comme un des plus grands hommes d’état de son temps ; car ce qui constitue l’homme d’état, ce n’est pas seulement la faculté de concevoir et d’exprimer mais c’est le courage d’agir.
Jamais homme n’aurait remporté une victoire plus utile à son pays que celle qui aurait permis au gouvernement du roi Victor Emmanuel de se consolider tranquillement en repoussant aussi bien les incitations du dehors que les passions déchaînées par une minorité factieuse dont l’aveuglement compromettait la régénération de l’Italie.
…..Force était de prendre pour base et pour principe la non-exécution des traités ; Si le respect des traités est la condition normale de l’existence de tous les Etats réguliers, c’est la condition indispensable et absolue des Etats nouveaux ; car les Etats qui se constituent ou qui se transforment ont plus que les autres besoin des rapports internationaux ils y trouvent l’appui nécessaire pour se consolider en déjouant les efforts des agitateurs de l’intérieur. Or ces rapports ne s’établissent que par la confiance ; et le respect des traités peut seul faire naître la confiance.
C’est ainsi qu’ont toujours pensé ceux auxquels la Providence a délégué la mission de fonder des Empires. Qu’il me soit encore permis ici de faire un retour sur nous-mêmes et de rappeler qu’en toutes circonstances l’Empereur a donné ce grand exemple au monde celui d’observer scrupuleusement les traités même ceux faits contre la France et contre la dynastie napoléonienne même. Cette loyale et habile politique a eu pour résultat de décider les souverains eux-mêmes dont les représentants étaient réunis en Congrès à Paris à venir offrir l’abrogation des traités faits contre la famille Bonaparte en constituant on peut le dire, le représentant couronné de cette famille arbitre de l’Europe. Le temps et les événements qui sont au-dessus de la volonté des hommes modifient détruisent les traités qui n’ont plus raison d’être ; et il est très naturel que le but d’une politique loyale soit d’arriver légalement, si je puis m’exprimer ainsi, à modifier les traités onéreux conclus dans les jours de malheur, mais il est bien regrettable et contraire à l‘enseignement de l’histoire de poser sa base dès le principe sur la violation des traités existants. C’est contre une telle conduite qu’a protesté si utilement et si fructueusement notre auguste souverain par ces mots : l’Empire c’est la paix.
Ce qui n’a jamais pu vouloir dire que l’Empire ne ferait pas la guerre mais ce qui signifiait que l’Empire respecterait les stipulations internationales et acceptait les devoirs qui en résultent sans réserve et sans arrière-pensée.
Aussi ce n’était pas un des moindres inconvénients de la politique de l’unité italienne que la nécessité de la faire reposer tout d’abord sur la violation des traités existants.