Ce 7 août 1827

J'ai reçu cher Alexandre votre lettre datée de Pétersbourg et si comme vous me le dites, vous avez été fâché de quitter la Pologne sans me faire vos adieux, croyez que je ne l'ai pas moins senti, peut-être même davantage ; on a beau se faire raison, il y a dans l'amitié une espèce de susceptibilité, qu'il est impossible de réprimer, et quand on en a éprouvé les charmes pendant plusieurs années, le moindre doute à cet égard ne peut que nous alarmer. Mais aussi d'un autre côté la marque la plus légère de souvenir est une espèce de baume pour ceux qui en sont l'objet, votre lettre en a été un vrai pour moi, elle m'a fait un plaisir qu'il me serait difficile de vous exprimer, puisqu'elle vous a justifié à mes yeux.

Vous voilà donc dans cette capitale du nord, à l'extrémité de celle où vous voudriez être, il n'y a pas de mal mon cher, vous ferez connaissance d'un pays, que peut être vous n'auriez pas vu de sitôt, et qui cependant n'est pas sans intérêt surtout dans un moment où il paraît gouverner les autres. Peut-être aussi parviendrez-vous par quelques heureux accidents à y obtenir ce que vous désirez depuis si longtemps, et pour lors cette tournée vous sera d'autant plus agréable, et d'ailleurs comme vous aviez toujours le projet de voyager, commencer par le nord ou le midi, c'est toujours l'exécuter. Je ne doute pas que vous ne vous plaisiez dans votre nouvelle résidence, quoique il y a des personnes qui soutiennent qu'on vous reverra sous peu à Varsovie, c'est un désir que je partage avec eux sans être cependant de leur nombre. Il est vrai que vous n'y avez pas de connaissance, mais on en fait bientôt, les étrangers y affluent à ce qu'on dit, il n'y manque pas aussi sans doute de polonais, entre autres vous avez Linowski qui va sûrement à la Cour et dans toutes les sociétés, et par conséquent il peut vous servir de Cicérone. Veuillez me rappeler à son souvenir, mais voilà aussi je crois tout ce que je connais de Pétersbourg. Vous me demandez de vous donner des détails sur ce qu'on fait à Varsovie, il me serait assez difficile de satisfaire votre curiosité à cet égard, vu que j'ai quitté cette ville encore avant vous, mais comme je compte y rentrer bientôt, je me ferai un vrai plaisir de vous mettre au fait de tout ce qui peut vous intéresser. ... pour ce qui concerne la société, car quant à la politique vous savez qu'il n'est pas permis de s'en mêler, et que d'ailleurs à Pétersbourg vous êtes à même de connaître et de voir tout avant nous. Quand vous m'écrirez, adressez vos lettres à Varsovie, rue Bielaviska n° 609 car nous avons changé de logement, quand vous voudrez éviter la poste vous pourrez envoyer vos lettres par le courrier, qui vient toutes les semaines à Varsovie. Linowski vous facilitera ce chemin, comme faisant partie du secrétariat. Mais écrivez-moi mon cher aussi souvent que possible, donnez-moi des détails sur tout ce qui vous concerne, surtout ce que vous faites etc. Ce sera une espèce de compensation pour moi de me voir si loin de .... Ma mère et ma sœur sont très sensibles à votre souvenir et me chargent de vous dire mille et mille choses de leur part. Elles sont pour le moment à la campagne. Vous savez sans doute que notre bon ... n'est plus, vous lui accorderez je suis sûr quelques regrets, car il vous aimait beaucoup. Adieu mon cher, je termine avec l'espoir d'avoir sous peu de vos nouvelles, j'en suis vraiment avide, quoique ce soit un vilain défaut.

Votre dévoué

Alexandre

Lettre adressée au Comte Alexandre Walewski

A l'hôtel Demont à Saint Petersbourg