Monsieur le rédacteur,

Je lis dans votre journal d'hier à l'article Pologne des détails concernant l'affaire de la conjuration, sur laquelle je vous prierai de vouloir bien insérer dans votre prochain numéro les observations ou rectifications suivantes :

Votre correspondant en voulant excuser l'annulement qui a été fait du décret du Sénat commence par dire qu'il a été annulé par autorité supérieure ; cette phrase m'épargnera toute autre observation, qui deviendrait superflue. Quand le Souverain érige le Sénat en tribunal suprême il ne se conserve qu'un seul droit, et c'est le plus beau de tous, c'est le droit de pardonner ou de commuer les peines. Mais, ni notre constitution judiciaire ni aucune de nos lois ne reconnait, (dans le cas où le Sénat s'érige en tribunal suprême) aucune autorité supérieure pour annuler ses arrêts. L'autorité qui a annulé a donc agi d'une manière arbitraire, illégale et tyrannique, illégale car je viens de prouver qu'elle n'avait aucun droit de le faire, arbitraire, car sans en donner de raison elle a établi le Sénat en permanence jusqu'à décision ultérieure, a défendu aux sénateurs de quitter Varsovie leur empêchant par-là de vaquer à leurs affaires et les tenant comme en prison, tyrannique parce qu'elle a envoyé les détenus à Saint Pétersbourg et sans avoir égard qu'absous, ils sont encore sous le poids d'une accusation qui, à la vérité, n'est rien moins qu'infamante mais qui n'en est pas moins rigoureuse : jetés dans un cachot ils sont en but depuis trois ans aux plus horribles traitements je n'ai pu m'empêcher monsieur de vous communiquer ces faits là pour vous prouver combien votre correspondant est mal instruit puisqu'il veut jeter une teinte de légalité sur une affaire qui dès le commencement a porté le sceau de la plus grande des injustices. Oui monsieur arrêtés sans preuves sur de simples soupçons ou dénonciations forcées et pour la plupart sans fondement, confiés pendant une année à une commission d'enquête composée de satellites russes et de tout ce que la Pologne a de plus abjecte (à l'exception pourtant de deux ou trois personnes que l'on avait placé pour couvrir le reste). Enfin l'on était revenu aux voies légales le Sénat venait d'être érigé en tribunal suprême. Il décide l'innocence et absous ; on casse l'arrêt on forme un conseil de ministres pour revoir le procès le conseil des ministres ne peut qu'approuver la marche qu'a suivie le Sénat. Alors on les envoie à Pétersbourg et nous ne savons pas le sort qui les attend. Voilà pourquoi on veut jeter un voile de légalité je vous laisse juge du reste et crois inutile de rien ajouter.

Un Polonais.

Note : ce document sans date est antérieur au 3 décembre 1833 date de la naturalisation française du Comte Alexandre Colonna Walewski