La Chambres des Députés vient de voter un crédit extraordinaire pour secours aux étrangers réfugiés en France à cause d'opinions politiques ; nous espérons qu'en votant ce crédit, la majorité de la chambre ne s'est pas associée aux opinions émises par le rapporteur de sa commission, car ces opinions ne sont pas celles de la généreuse nation que la chambre représente : non, cette nation ne regarde pas les destinées de la Pologne, comme lui étant étrangères, et si sa sympathie est grande c'est parce qu'elle n'est pas désintéressée, car disons le ici sans fard, il n'y a de vraie sympathie entre nation que quand les intérêts sont communs. Quand a éclaté la révolution du 29 novembre, c'est à la France d'abord que les polonais se sont adressés, non pas pour en appeler à une sympathie désintéressée, ou même pour lui rappeler le sang qu'ils avaient versé pour elle, mais parce que convaincus qu'en arrêtant le colosse du Nord prêt à fondre sur la France de Juillet, ils agissaient dans ses intérêts. C'est dans cette conviction qu'ils vinrent avec confiance, réclamer d'elle asile et soutien. Des secours directs ne purent être donnés, non pas, que l'on en ait senti la nécessité, mais parce qu'on l'avait jugé impossible; pourtant une bouche auguste donna l'assurance dans un discours solennel que la nationalité polonaise ne périrait pas : la Pologne recueillit ces paroles avec enthousiasme, et conserva encore l'espoir qu'elle ne s'était pas trompée, en voyant dans la France un allié auquel l'unissait les mêmes intérêts présents, passés et futurs.

C'est, confiants dans cet espoir, que quand le jour du malheur arriva, quand accablés par le nombre il fallut fuir ou subir le joug moscovite, tous les polonais firent les plus grands efforts pour atteindre ce sol de France, où ils voyaient une nation de frères et d'alliés, et surtout où ils voyaient encore l'avenir de la Pologne.

Mais s'ils avaient pensé ne trouver qu'une vaine pitié, s'ils avaient pu imaginer que leurs destinées seraient considérées comme étrangères à celles de la nation française, ils seraient restés en Allemagne, là aussi ils auraient trouvé une sympathie désintéressée, assez grande pour leur donner des moyens d'existence, car il n'y a pas jusqu'au dernier des sujets des despotes de l'Allemagne qui aurait refusé l'hospitalité aux soldats polonais. Mais la généreuse nation française ne partage pas les opinions exprimées par Monsieur Guizot ; elle tend les bras aux réfugiés polonais, non pas comme à des malheureux, auxquels on accorde des secours de la pitié, mais comme à des frères qui viennent de verser leur sang pour la cause commune et qui sont prêts à combattre sous sa bannière.

La nationalité polonaise a été étouffée, malgré les promesses naguère encore répétées du gouvernement français. Si ce gouvernement est dans l'impossibilité de tenir ses promesses, en faisant observer les traités, au moins que de vaines considérations envers la Russie ne l'arrêtent plus, qu'il accorde aux réfugiés polonais, ce qu'ils appellent de tous leurs vœux, qu'il forme une légion polonaise ; cette mesure est la seule qui serait en rapport avec les sympathies que la nation française a témoignées si vivement en tant d'occasions et dont fait foi encore l'enthousiasme avec lequel toutes les populations de France accueillent les réfugiés polonais.

En même temps, la formation de cette légion serait une protestation éloquente que ferait le gouvernement français contre la conduite de l'Empereur de Russie à l'égard du royaume de Pologne.

Oui, les polonais ne demandent que la possibilité de verser encore une fois leur sang pour la France, non pas par une sympathie désintéressée mais parce qu'ils ont la conviction que les mêmes intérêts les unissent et que mourir en combattant, sous sa bannière, c'est encore travailler à la régénération de leur patrie.

Un polonais

Note : la loi votant ce crédit a été adoptée le 12 avril 1832