Les émigrés Polonais accueillis en France sont au nombre de 5.000 à peu près, y compris ceux qui ont quitté leurs dépôts pour se rendre en Suisse.

Quelques Polonais, qui avaient accès auprès du Gouvernement français, lui ont représenté à plusieurs reprises depuis deux ans, verbalement ou par écrit, le besoin d'organiser les émigrés de leur nation quoique sans les armer militairement, d'introduire parmi eux de l'ordre et de la discipline, de leur faciliter des moyens d'instruction et de travail, d'établir enfin une autorité composée de polonais dignes de confiance, et qui serviraient d'intermédiaires et d'interprètes entre le Gouvernement et leurs compatriotes.

Toutes ces tentatives n'ont pu malheureusement obtenir l'assentiment du Gouvernement français, ni attirer son attention.

A quelques exceptions près, le gros de l'émigration fut donc voué au désœuvrement le plus complet, et exposé à ses funestes effets. Il en résulta des rixes, des désordres, des accès de sévérité de la part des administrateurs locaux, qui n'eurent d'autres suites que d'accroître les malentendus et l'irritation, sans remédier raisonnablement aux principes du mal. Et tandis que le Gouvernement rejetait le moyen d'une influence volontaire et assurée sur l'émigration, c'était la malveillance ou l'extravagance qui l'exploitait pour son compte.

Dans les derniers temps, le renouvellement de la loi sur les étrangers à leur égard, la réduction des subsides qu'ils n'ont pas cru avoir méritée, l'éloignement de Paris de plusieurs Polonais, à l'instigation, disait-on, de l'ambassadeur russe, les publications du Gouvernement au sujet de la prétendue amnistie de Nicolas, les déclarations continuellement répétées de la bonne harmonie que la France s'efforçait d'entretenir avec la Russie, quelques admonitions parties dernièrement de la Tribune, franches mais rudes, et sans égards pour la susceptibilité irritable des malheureux. Toutes ces circonstances malheureusement réunies ont augmenté l'exaltation, ont ébranlé les convictions des plus calmes.

Il faut se rappeler que les Polonais, traversant après leurs malheurs le centre de l'Europe, ont été partout accueillis avec des témoignages de la sympathie la plus vive. Enivrés par ces bruyantes acclamations, dont pendant leur passage ils n'ont pas eu le temps de se désenchanter, ils furent mal préparés aux épreuves pénibles nécessairement peu sentimentales qui les attendaient, épreuves qui sont presque inévitables, lorsque des relations prolongées s'établissent entre le puissant qui accorde l'hospitalité et l'exilé qui la reçoit. La presse radicale française, se servant des Polonais comme d'un bon instrument pour embarrasser le Gouvernement, trouva en eux des ouailles avides d'espoir et de promesses, et chercha, non sans succès, à leur persuader qu'ils n'avaient pas d'ennemis plus acharnés que le Ministère français et la Chambre des Députés.

Telle est la vraie source de l'irruption irréfléchie et désespérée de quelques jeunes gens enthousiastes en Pologne et de la sortie des 500 réfugiés en Suisse. Les premiers voyant que l'état actuel de la Pologne est presque considéré comme un fait accompli ont voulu prouver le contraire à l'Europe et ont couru se réunir à des troupes de soldats et de conscrits qui ont fui dans les bois pour se soustraire à l'oppression du drapeau russe. Les autres, voyant que l'espoir de l'intervention du Gouvernement constitutionnel de France et d'Angleterre pâlissait sensiblement et semblait même s'éteindre pour toujours, ont voulu tenter des voies désespérées et se sont laissé attirer par les lueurs trompeuses qu'on leur a fait voir en Allemagne. Parvenus en Suisse et trompés dans leur attente ne pouvant avouer qu'ils avaient marché pour se joindre aux libéraux d'Allemagne, et perdant tout à fait la tête, ils ont eu la maladresse de donner à leur sortie des motifs qui devaient offenser le Gouvernement français, le seul qui leur avait accordé des subsides et qui aurait voulu les secourir encore. Il y a de fortes apparences que l'Agence russe n'est pas étrangère à ces divers résultats.

Telles sont les difficultés dont le sort, la malveillance ou l'imprévoyance entravent continuellement les efforts de ceux d'entre les Polonais qui cherchent à retenir leurs compatriotes dans de bonnes directions. Leur prêter secours et assistance dans ces efforts serait une œuvre de charité et une œuvre de sage politique. Ce serait soustraire l'émigration polonaise à l'influence flatteuse mais désordonnée du républicanisme français et leur faire voir des amis plus vrais dans ceux qui leur disent de sévères vérités. La patience et la résignation seraient une tâche moins ardue et plus possible, si l'espérance raisonnable les soutenait, si la sympathie pour la nation et pour la cause perçait toujours et visiblement à travers des admonitions et des sévérités que peuvent s'attirer des individus.

Nous croyons toujours que le moyen infaillible et unique pour sauver l'émigration polonaise de la corruption et de la dissolution qui la menacent, c'est de l'occuper utilement en facilitant et en ouvrant à ceux qui peuvent étudier la carrière des études et en procurant aux autres la possibilité d'exercer leurs professions ou métiers respectifs.

Pénétrés de cette persuasion intime, nous avons formé une société de Polonais, dans le but d'encourager, de diriger et de découvrir ceux de nos jeunes compatriotes qui veulent s'instruire et terminer leurs études.

La société se propose aussi d'établir un institut pour les enfants des réfugiés.

La modicité des fonds de la société ne lui permet pas jusqu'à présent de mettre à exécution ses plans ; mais nous espérons obtenir des secours tant en France qu'en Angleterre.

Le gouvernement pourrait nous aider infiniment ou par des secours pécuniaires qu'à peine osons-nous réclamer, ou plutôt en facilitant les dislocations des individus choisis par la société et leur entrée dans les Instituts scientifiques, ou enfin leur placement dans quelques manufactures d'après la demande qui lui en serait faite par la société.

Nos énergumènes tâchent de persuader à leurs compatriotes que le Gouvernement français entrave à dessein aux Polonais les moyens de s'instruire et de s'occuper, pour les dégoûter du séjour de la France et par là, les réduire à chercher refuge autre part, ou à accepter les amnisties de Nicolas. Les Polonais mieux pensants n'ont pas cessé au contraire d'entretenir leurs compatriotes dans des sentiments de gratitude et de confiance ; mais sans l'assistance du Gouvernement leurs efforts resteront sans effet.

Des ordres sévères ont été donnés à toutes les missions pour ne plus accorder de passeport à aucun Polonais venant en France, sans en référer au ministre. La France a cessé d'être un asile ouvert à notre nation, à ceux des Polonais qui sont forcés de fuir de leur sol natal.

L'on doit reconnaître que cette mesure, dont la Prusse et l'Autriche ont donné l'exemple, adoptée par la France est envers les Polonais le comble de la rigueur.

Nous oserions représenter qu'à leur égard les mesures d'une juste sévérité devraient être exceptionnelles et ne pas frapper la masse innocente et la cause toute entière.

Quant à ceux de nos compatriotes qui peuvent exercer utilement leurs professions, comme la grande majorité est militaire, nous avons cherché à les employer activement et en corps, d'abord en Belgique, puis au Portugal, mais toujours sans succès.

Une expédition de ce genre pourrait maintenant se réaliser, si le Gouvernement voulait en fournir les moyens. Ce serait la plus utile occupation pour une grande partie de notre émigration ; ce serait la meilleure issue pour nos compatriotes de Suisse, et l'occasion de délivrer les malheureux qui sont retenus en Prusse, dont le gouvernement prussien a désiré et désire se débarrasser, et que le Gouvernement français a fait jusqu'à présent difficulté de recevoir.

Nous avons tâché de toucher dans cette note à tous les objets qui pouvaient et peuvent encore influer sur le sort de l'émigration polonaise dans quelque pays qu'elle se trouve. Aucun de ces objets, aucun des vœux formés pour l'émigration ne sauraient être atteints, s'ils n'obtiennent l'assentiment et l'appui du Gouvernement français. Nous osons solliciter d'autant plus instamment un retour de sentiments favorables et des témoignages de bienveillance de sa part envers nos réfugiés, que c'est le seul moyen de faire revenir parmi eux la confiance sans laquelle il serait impossible aux Polonais, tels bien-pensants qu'ils soient, d'influencer leurs compatriotes pour les diriger et les maintenir dans les voies de l'ordre et de la sagesse.

Paris, Ce 12 Juillet 1833