Monsieur le rédacteur je viens encore vous prier de compléter par ce qui suit la réfutation du discours de Mr Thiers qui concerne la Pologne dont vous avez bien voulu insérer le…. dans votre feuille de ….

Mr Thiers prétend que la France ne pouvait exercer une action puissante dans les affaires de Pologne car elle n’avait aucun moyen de communiquer p..r ses armées

Je pense qu’il est inutile de développer ici tous les moyens qu’un Etat et surtout un Etat comme la France peut avoir pour réagir sur une Puissance qui ne lui est pas frontière si ces moyens n’existaient pas l’influence d’un pays ne s’étendrait que sur les pays limitrophes ainsi l’Angleterre par exemple qui est séparée par la mer du reste de l’Europe n’aurait donc aucune influence sur la politique du Continent?

On alléguera peut-être que la mer ne constitue pas une séparation, parce qu’on peut communiquer par des flottes dans ce cas je rappellerai que la France étant une puissance maritime bien plus imposante que la Russie peut atteindre cet Empire et par la Mer Noire et par le Golfe de Finlande.

Monsieur Thiers prétend encore que les négociations qui ne s’appuient pas au fond sur les moyens de guerre sont nulles il faut avouer que cette phrase a quelque chose d’obscur je ne conçois pas une négociation qui ne doive présenter en quelque sorte la possibilité d’une guerre et on ne peut pas dire que quand la France négocie que les moyens de soutenir ces négociations lui manquent

Mais il faut le dire ici avant la chute de Varsovie pendant que l’on traitait pour la Pologne, ce qui a rendu les négociations nulles c’est d’avoir déclaré hautement à la Tribune que quel qu’en soit le résultat la France ne fera pas la guerre.

Les négociations n’ont donc pas été nulles parce qu’on ne pouvait pas les appuyer sur les moyens de guerre mais parce qu’on déclarait hautement ce qu’on devait surtout cacher. De même qu’aujourd’hui quel effet doit produire sur les négociations qui ont lieu pour empêcher la Pologne de devenir une Province russe les paroles d’un orateur qui veut passer pour être initié dans les secrets du Cabinet et qui déclare que les Traités sont trop ambigus pour soutenir la nationalité polonaise.

Le Président du Conseil dans son discours du 7 mars n’a pas donné une confirmation évidente aux paroles de Mr Thiers mais ne devait-on pas s’attendre à l’entendre renier les paroles qui autrement (comme il le sait fort bien) passeront pour officielles.

Voilà Mr le Rédacteur les principales observations qu’a rendu nécessaire le discours de Mr Thiers. J’ai cru indispensable de les présenter pour prouver à beaucoup de personnes qui n’entrent pas au fond de la question mais jugeant par des apparences voyant monter à la Tribune un homme aussi instruit que Mr Thiers le voyant citer les articles du texte du Traité de Vienne ne pouvaient pas supposer qu’il y avait erreur de sa part.

Que la Russie tient tant à la Pologne que si Napoléon même avait voulu lui imposer la condition de restituer la Pologne la Russie aurait préféré la guerre avec Napoléon.

D’abord je voudrais savoir de quelle époque du règne de Napoléon parle Mr Thiers

Napoléon avait déjà commencé en créant le Grand-Duché de Varsovie à empiéter sur la conquête de la Russie l’on ne pouvait pas faire tout à la fois

Je laisse d’ailleurs à des personnes plus au fait des affaires politiques d’alors de décider si la Russie aurait préféré la guerre que la cession de ses provinces polonaises

En tout cas l’assertion de Mr Thiers prouve seulement que la Pologne étant considérée par la Russie comme lui étant indispensable les Puissances qui ont intérêt à voir le Colosse Russe affaibli ont d’autant plus d’intérêt à lui soustraire la Pologne..

J’ai cru Mr le rédacteur ne pas devoir tarder un instant à vous envoyer ces observations sur le discours prononcé hier à la Chambre des Députés par Mr Thiers

Je vous demande de bien vouloir m’accorder quelques lignes dans votre journal de demain pour prouver aussi brièvement que possible et appuyé sur quelques pièces officielles que le traité de Vienne est dans son esprit et dans son texte obligatoire pour la Russie en l’empêchant de faire de la Pologne une province russe et que, avec la plus mauvaise foi possible, le texte du Traité de Vienne ne permet pas de soutenir (comme le dit Mr Thiers) qu’avec des Institutions Provinciales la Pologne aurait une nationalité.