Meeting de Guildhall

Le meeting qui a eu lieu hier au Guildhall de Londres a été une de ces majestueuses manifestations d'opinion publique, qui parlent à l'oreille de l'Europe qui agitent les nations, et avertissent les rois. Toutes les classes y étaient représentées, ce qui le caractérisait surtout était une forte unanimité. Des meetings tels que celui-là guident les gouvernements. Dans un pays constitutionnel et qui se gouverne lui-même le ministère est obligé par les conditions même de son existences à obéir aux injonctions de la volonté nationale. Les formes de la diplomatie peuvent exiger un ton plus modéré, la responsabilité du pouvoir peut suggérer une conduite plus réservée, mais la grande intention doit être déclarée dans un langage positif. La sympathie de l'Angleterre est avec la Pologne. Cela a déjà été proclamé par Lord Palmerston dans le parlement et par le Comte Russel dans ses dépêches diplomatiques. Mais l'interprétation de leurs paroles appartient au peuple, qui vient de leur donner une menaçante signification. Quand on se rappelle quels sentiments éclatèrent en faveur des italiens dont la cause était une théorie, dont l'unité était une idée, on peut comprendre combien profondes sont les émotions qui nous agitent, quand les maux de la Pologne se dressent de nouveau sous une forme vivante devant nous. Les traditions des années passées donnent de l'intensité aux réalités brûlantes du moment. Tous nos vœux sont pour la cause polonaise notre jugement l'approuve, et nos passions sont excitées au point de nous entraîner presqu'au-delà des bornes d'une action modérée. C'est en effet une chose horrible que de voir une grande nation foulée aux pieds par un pouvoir autocratique, de voir tous les principes de la liberté qui nous est si chère, dédaignés et brutalement violés, de voir la foi des traités conspuée, et la sainteté d'engagement solennels violemment écartée par la botte au talon ferré qu'on représente comme le type de despotisme arbitraire.

Les temps changent et nous-mêmes et nos capacités avec eux. Il est impossible de ne pas se rappeler que l'Empire russe ne s'est pas encore remis du choc de la guerre de Crimée. Nous ne pouvons douter qu'une armée française débarquée du côté de Riga ne put prendre les russes en Pologne par derrière, et les forcer à évacuer tout le pays. Nous savons que nos navires cuirassés pourraient maintenant se moquer de Cronstadt, et pourraient décider promptement le sort de la capitale de la Russie.

Si cela est de toute évidence pour nous comment supposer qu'on l'ignore à Saint Pétersbourg. Il faudrait que le Czar prit conseil à temps. Il peut encore par un effort suprême de justice faire ce qui est bien, et rendre la Pologne libre. S'il ne le fait pas, qu'il prenne garde aux conseillers incompétents, et aux hommes politiques insensés qui pourront chercher à lui persuader comme ils l'ont persuadé à son père que la France et l'Angleterre n'agiront pas ensemble.

Les cabinets peuvent différer sur une note ; M. Drouyn de Lhuys et le Comte Russel peuvent ne pas poursuivre une politique identique dans un moment identique. Il n'est guère probable que l'Empereur désire la guerre et assurément Lord Palmerston, ou n'importe quel ministre anglais fera toujours tout ce qu'il pourra pour la détourner. L'intérêt du commerce conseillerait la paix. Et les nations, comme les individus, sont généralement dirigées par leurs intérêts. Mais l'opinion publique en Angleterre et en France est la véritable souveraine, et les nations et leurs opinions sont parfois gouvernées par la passion plus encore que par l'intérêt. Nous parlons sérieusement pour la paix en soumettant cet avis aux conseillers de l'Empereur de Russie. La preuve de ce que nous disons est contenue dans le compte rendu d'aujourd'hui du meeting de Guildhall. Le meeting demande avec instance au Parlement "de suspendre les relations diplomatiques avec la Russie", et déclare "qu'Elle a perdu tout droit à la possession de la Pologne". Il y a plus le meeting a voté une éloquente adresse aux polonais, qui approuve de tous points la cause pour laquelle ils combattent, qui invoque sur eux la bénédiction du Très Haut, et qui annonce "que nous nous efforçons avec ardeur de faire tout ce que nous pouvons pour vous aider et vous assister". Un grand peuple ne peut tenir ce langage sans engager gravement sa responsabilité, et si nous lisons bien les signes du temps, la nation anglaise n'est pas seulement désireuse, mais impatiente d'agir ainsi. A ce grand meeting il y avait des Pairs, et des membres de la Chambre des Communes, des Ecclésiastiques et des Conseillers municipaux, des marins, des soldats, des marchands, des citoyens et des hommes de toutes les classes. Leur voix a été une et forte, et l'expression éloquente des sympathies des femmes d'Angleterre est venue s'y mêler par la voix à jamais honorée de Florence Nightingale. Quand des hommes et des anges parlent ainsi, c'est aux Gouvernements à obéir. Aucun ministre, quelques fortes que fussent ses sympathies, n'oserait entraîner ce pays dans une guerre pour la satisfaction de ses sentiments personnels. Mais c'est toute autre chose quand la nation indique la route à un pilote docile. Il semblerait que les anglais se font à l'idée d'une action énergique. Nous n'aurons pas une guerre aujourd'hui ou demain, mais nous ferons un pas dans cette voie ; et on ne peut douter que d'autres nations ne ressentent aussi vivement que nous-mêmes les outrages commis contre la Pologne. Le gouvernement devrait donc avoir pour objet de combiner les influences de telle sorte que leur force put être irrésistible, au point de dicter les conditions de la paix sans qu'il y ait nécessité de recourir aux armes. Il semble difficile de croire que l'Empereur Alexandre ne veuille pas même actuellement écouter la protestation de la nature qu'il peut lire dans l'épouvantable affaire de sang qui a lieu par ses ordres, ou qu'il veuille complètement refuser d'écouter des remontrances et les conseils aussi énergiquement formulés que ceux exprimés dans le meeting d'hier. Il peut encore s'épargner des désastres et une terrible responsabilité en proclamant une amnistie générale et en donnant à l'Europe une garantie de son retour aux stipulations des traités de 1818. Les jours s'écoulent rapidement et il peut bientôt être trop tard. L'heure de grâce tarde encore les passions de l'Angleterre et de la France ne font que de s'éveiller. Un acte magnanime les apaiserait, et assurerait le bonheur à la Pologne et la sécurité à la Russie. Que le cabinet de Saint Pétersbourg accepte de bons conseils de sincères amis et qu'il se détermine pendant qu'il en est temps encore. La force du sentiment populaire dépassera bientôt toutes les bornes, et dictera aux ministères et aux Empereurs la marche que les nations veulent. Personne n'a excité l'esprit du peuple contre la Russie. Les ministres ont été extrêmement modérés et la Prusse a observé une réserve extraordinaire. Mais la chair et le sang ne peuvent supporter de voir un brave peuple massacré ; un peuple qui soit soumis à l'injustice, au mépris, à l'outrage pendant des années, mais qui a été poussé à l'insurrection par un traitement pire que celui qui a jamais été infligé à des esclaves ; qui a couru aux armes pour chercher une mort violente, parce que ne pouvant l'éviter, il veut au moins qu'elle soit glorieuse. Si la vie de ce peuple doit être sacrifiée, elle le sera sur le sol de sa patrie et pour la cause de ses enfants. La Russie n'a répondu jusqu'ici à cela que par la mitraille, la baïonnette, le sabre, le pillage, l'incendie, le viol et la torture. Pour ces horreurs on peut, peut-être, exiger une peine. Le mauvais renom qui s'attache aux armes russes se répand dans toute l'Europe, et provoque chez tous les hommes de cœur une indignation semblable à celle qui a fait explosion hier à Guildhall. On y a dit de ces paroles ailées, que les télégraphes peuvent transmettre, des paroles pleines d'un sens solide et profond, des paroles qui doivent avoir des conséquences.