Turin le 21 janvier 1862

Excellence,

J'espérais depuis longtemps me rendre à Paris dans le but de faire cesser un malentendu dont je suis la trop facile victime auprès de tous.

Ma position d'officier dans l'armée italienne me retenant impérieusement à Turin je profite du voyage à Paris du Prince Lubomirski pour vous faire remettre cette lettre.

Un misérable auquel je devais quelques cent francs abusant d'un dépôt que je lui avais confié, s'est présenté chez vous, armé de 25.000 francs en lettres de change qu'il disait avoir été souscrites pour moi en garantie d'une faible somme que je lui devais en réalité ; donnant à entendre que j'étais descendu au rang de ces fils de famille ruinés qui prodiguent leur signature et leur honneur au premier venu pour des sommes insignifiantes et si Votre Excellence, ce dont je doute, a jeté les yeux sur les lettres de change qui lui ont été présentées elle a pu se convaincre qu'elles n'étaient point revêtues de ma signature. Elles étaient destinées originairement à solder la même somme de 25.000 francs à un Sieur Thierry que j'ai désintéressé intégralement depuis ; ce qui rendait ces lettres de change inutiles, et ce qui explique qu'elles n'aient point été revêtues de ma signature. Voilà la vérité toute la vérité.

Si je n'avais été plus soucieux de votre estime que de votre puissante protection j'aurais sans doute moins tardé à vous écrire la présente lettre. Sans chercher à nier les quelques désordres dans lesquels mon inexpérience et ma jeunesse ont pu me jeter, j'ai pris bravement mon parti et en homme d'honneur, sans aide, sans appui, parti simple soldat j'ai gagné mon grade d'officier sur les champs de bataille alors qu'une simple recommandation de votre part m'aurait ouvert toutes les portes.

C'est fier de ma conduite que je m'adresse de nouveau à vous Excellence persuadé que vous croirez à la sincérité de mes paroles et que vous me rendrez cette bienveillance dont j'étais justement fier par dessous tout, et que je m'efforcerai de mériter, persuadé de l'avoir perdu un instant par un déplorable malentendu dont j'ai été la victime.

Veuillez agréer, Excellence, l'assurance de mes profonds respects.

Votre serviteur et cousin.