Ce 9 novembre

 

Je n'ai reçu ni le messager ni la Gazette des tribunaux.


Me voici cher, arrivée saine et sauve, mais non sans quelques petites mésaventures. Depuis Auxerre jusqu'à Chalons nous avons eu un véritable ouragan. Sur les hauteurs j'ai cru que la voiture ne pourrait éviter d'être renversée. J'ai pu embarquer la voiture à Chalons et suis très bien arrivée à Lyon. Mais là nos malheurs ont commencé. Obligée d'être sur le bateau à cinq heures et demi du matin j'ai fait ma toilette la veille à dix heures et me suis jetée sur le lit. Arrivée à bord le brouillard était si épais que nous avons attendu pour partir jusqu'à neuf heures. Partout le Rhône avait débordé et la force du courant était épouvantable en quelques endroits. A une heure à peu près du pont Saint Esprit le capitaine nous dit qu'il est impossible de le franchir, et nous nous sommes arrêtés près d'un vilain petit bourg nommé Saint Andéol. Nous avons eu notre choix d'aller coucher avec toute sorte d'immondices à l'auberge ou de rester à bord. Quelques messieurs qui y sont allés l'ont trouvée trop dégoûtante (quoique toute la famille Rougemont s'y est casé) et sont revenus. Ainsi ai-je bravement pris mon parti, et me suis établie sur une banquette dans l'arrière petite cabane. La fille du gouverneur de Malte qui se rendait à Marseille pour rejoindre son père s'est étendue sur l'autre et nous avons sommeillé un peu, et beaucoup bavardé jusqu'au lendemain. Au milieu de la nuit la fantaisie m'a pris d'aller voir comment on s'était arrangé dans la grande cabane. Des ronflements plus que sonores nous annonçaient que tous ne veillaient pas. C'était à faire mourir de rire. Cinq femmes et autant d'homme, les uns par terre, les autres sur les banquettes (des plus étroites) enveloppés dans tout ce qu'ils avaient de plus chaud avaient l'air d'autant de corps morts disposés pour être disséqués le lendemain par les mains d'un chirurgien. Un monsieur sur une autre banquette dont les pieds se rencontraient contre ceux de ma femme de chambre ne lui a pas permis de dormir. A chaque instant il lui donnait des coups de pieds. Je suis restée un jour à Lyon et deux au Tholonet où Monsieur de Galliffet m'a parfaitement bien reçue. On pourrait en faire une résidence parfaite - grandiose - et délicieuse. Mais pour cela il faudrait dépenser beaucoup d'argent et avoir le goût de la campagne, des arbres superbes, des cascades naturelles, des rochers, des fleurs ... et … , la nature a beaucoup fait. Imaginez que les deux dames qu'il avait invitées pour me faire les honneurs se nommaient Comtesse de Gray et Marquise de Montaigu. … un curé très spirituel, un chanoine, monsieur … …. Le voyageur en …., ………


  A deux postes d'Aix j'ai rencontré B.. et un ami à lui Charles Ballu ... de retourner en Angleterre. J'allais très vite, et n'avais pas envie d'arrêter la voiture. Mais comme lui est descendu j'ai été obligée de faire halte pour un quart d'heure. Je suis rancuneuse et ne lui ai pas pardonné d'être venu … sans me donner une heure à ...


Harriet n'est pas très bien. Elle a fait un tour très fatiguant sur les lacs du nord ... couchée dans des endroits où jamais personne que des muletiers avait pensé à s'arrêter. Puis … … Elle souffre maintenant et croit que le climat de Nice est en faute. Nous dînons à trois heures, prenons le thé à sept et demi, et nous couchons à dix. Elle est sur son âne et sur les montagnes à dix heures du matin et ne rentre que pour dîner. Madame ... la …de ce pauvre Monsieur ... est ici. Les ... Delphine Potoka, plusieurs de nos compatriotes que j'aimerais autant ne pas voir. Je n'ai vu personne que notre consul. N'oubliez pas de dire à .. votre belle-sœur que je n'ai été qu'un jour à Paris. J'ai trouvé plusieurs lettres de Paris sur ma table, s'il y en eut une de vous je vous en aurais été très reconnaissante. Comment vont vos affaires Saint Lazare ? Dites-moi si vous arrivez ... de lire ... jusqu'à la fin.


Adieu cher, je t'embrasse en bonne mère et très très tendrement.


L. S.

Cette lettre est adressée Rue Trudon à Paris