[Papier à en-tête :
Raphaël Félix
Directeur des Congés
De Mademoiselle Rachel
Cité Trévise, n. 3
N. 6007]

Londres, le 4 août 1855

A Monsieur le Docteur Denis, Paris

Cher monsieur Denis,

Je vous adresse ces quelques lignes pour vous dire que la santé de Mademoiselle Rachel est assez mauvaise depuis son arrivée à Londres où elle venue accompagnée de trois de ses amies et ami. Elle est de très mauvaise humeur, jamais gaie et toujours dans un état nerveux incroyable. Elle souffre beaucoup dit- elle de son côté, de son dos, et elle a de fréquentes brulures dans la poitrine qui lui causent des douleurs terribles. Elle a des crises deux et même trois fois par jour. Certes cher Docteur je la vois, je la crois souffrante, mais ce que j'affirme c'est que son état moral ajoute beaucoup par sa faiblesse à ses souffrances. Avant-hier elle a cru devoir consulter un médecin français quelle connaît depuis longtemps à Londres. Elle s'est faite ausculter je crois. Et ce monsieur ne l’a pas peu effrayée en lui affirmant qu'elle avait une tumeur ou un engorgement au côté. Il a ajouté que c'était là des symptômes peu alarmants, que l'on pouvait facilement faire disparaître, mais qu'il ne pouvait répondre qu'elle pourrait jouer aux Etats Unis, et qu'il pensait qu'un traitement rigoureux et bien suivi d'un an ou deux ans pouvait seul la remettre complètement. Cher docteur, vous connaissez la faiblesse de Mademoiselle Rachel et vous devez comprendre que Monsieur Kremer n'a pas produit un petit effet dans l'esprit de ma chère Rachel qui, depuis cette espèce de révélation, n'est plus abordable. Aussi cher ami, viens-je à vous pour vous dire : que dois-je faire ? Que dois-je croire ? Une longue lettre détaillée et circonstanciée sur l'état de Mademoiselle Rachel, je vous en supplie. Ma mère n'a pas peu contribué à répandre l'alarme dans l'esprit faible de la tragédienne : elle prétend que si vous ne vous êtes pas opposé au départ de Rachel, c'est que vous ne vouliez pas lutter contre l'impossible !!! Cher docteur, il n'y a rien d'impossible, mieux vaut renoncer à la fortune que de risquer une santé aussi précieuse que celle de ma chère sœur. J'attends une réponse par le retour du courrier.

En attendant je vous serre bien affectueusement la main
Votre ami bien dévoué

Raphaël Félix

Monsieur Kremer prétend que vous avez connaissance de cette tumeur ou engorgement, que cela est évident pour lui, que cela a du l’être pour vous, du reste que vos emplâtres et votre traitement le prouvent suffisamment. Il ajoute encore que vous n'avez rien [ ?] voulu dire. Je n'ai pas pu m'empêcher de la quitter d'une façon très impertinente [ ?]. Maintenant j'attends votre lettre avec impatience.

Mademoiselle Rachel a des [...] qui sont assez fréquentes et qui amèneront chez elle un grand amaigrissement si elles doivent continuer longtemps.

Je vous dirai que nous autres trois nous portons à merveille, et que votre Rachel vient d'obtenir à Londres un succès impossible à décrire. Elle devait ne jouer que quatre fois, mais comme l'on refuse mille demandes à chaque soirée il en faut donner trois autres encore. Les recettes en moyenne de 15 000 francs.