Paris, ce 5 août 1855, 11 heures du soir

 

 

Mon Cher Raphaël,

J'arrive de la campagne et je trouve votre lettre. Je vous avoue que sa lecture m'a causé un étonnement que je ne puis vous dire. Rachel a une tumeur ou un engorgement au côté qui n'est pas dangereux et que l'on peut faire disparaître facilement, et pour cela il faut un ou deux ans ! Jolie facilité ma foi ! J'ai exploré le siège de ses douleurs peu de jours avant son départ, et je déclare n'avoir rien trouvé de semblable. Ce serait donc en quelques jours que cette tumeur se serait formée ? Ce n'est pas possible. Mais ce médecin aurait du dire de quelle nature est cette tumeur, où elle siège, à quel organe elle se rattache. Je ne comprends rien à tout cela.
J'ai dû la trouver ? Et mon traitement lui prouve que j'en savais l'existence ? Et quel traitement lui ai-je fait faire qui aurait pour but la dissolution d'une tumeur ? Je voudrais bien le savoir. Je vous le répète je ne comprends rien absolument rien à tout ce que vous me dites.

Quant à ce que vous me dites de mon opinion sur le long voyage que vous allez entreprendre, il est vrai que j'ai quelque fois fait des réflexions, pas en vue de la santé de notre chère enfant, mais à cause du pays, du climat, des fatigues, des maladies contagieuses qui y règnent en certains temps de l'année. Mon attachement, ma tendresse pour Rachel ont surtout frappé mon esprit de crainte, dont je ne pouvais me défendre, mais pas en vue de sa santé, je le répète.

Je vous conseille de ne pas vous en tenir à Monsieur Kremer, ce qu'il vous a dit me paraît si extraordinaire, si exorbitant qu'il faut en appeler d'autres ; vous ne pouvez pas rester sous le coup d'un pareil diagnostique. Je n'écris pas à Rachel, j'aime mieux vous écrire à vous qui lui commenterez mes lettres. Avec elle je suis gêné pour m'exprimer en pleine franchise.

Vous savez qu'elle a souvent eu de ces moments de tristesse, d'humeur noire, comme on dit ; elle est peut être dans un de ces moments.

Dites-lui toutes mes tendresses pour elle, toute la peine que me cause cette manière d'agir qu'elle appelle la franchise.

Dites mon affection à tout le monde et prenez-en une très grande part pour vous, en en distribuant beaucoup à notre amie.

.. Denis

S'il y a autre chose écrivez-moi de suite.