Vous serez sans doute bien étonnée, Mademoiselle, de recevoir une lettre datée de Saint- Pétersbourg. Je désire bien vivement que vous n'ayez pas oublié que dans cette ville qui est à 900 lieues de Paris vous avez une fervente admiratrice et de plus un cœur qui depuis deux ans s'est toujours intéressé à votre personne.

L'amitié intime qui me lie à Jollivet aura peut être un peu aidé à préserver mon nom de l'oubli car je ne doute pas que dans son affection, cet excellent ami ne vous aie quelquefois parlé de moi.

Je sais par lui combien vous êtes bonne ; je sais aussi, car j'ai pu l'apprécier moi-même que vous êtes douée d'une affabilité simple et gracieuse qui vous soumet tous les cœurs et toutes les volontés : c'est cette affabilité, cette bienveillance dont j'ai été si touchée lorsque j'ai eu le bonheur de vous voir qui m'enhardissent aujourd'hui à vous recommander madame Jal. Dans son enthousiasme pour tout ce que les arts produisent de plus beau et de plus parfait elle désirait vivement vous connaître. Je lui ai offert de diminuer l'embarras d'une première entrevue et en songeant à ce que vos manières ont de doux et de charmant, je me suis hasardée, moi, que vous connaissez si peu à vous recommander quelqu'un.

Maintenant, Madame Jal se recommandera d'elle-même ; c'est une personne d'une distinction bien rare par l'élévation de son cœur et la supériorité de son esprit. Je ne doute pas qu'elle ne devienne admiratrice passionnée de tout ce que votre rare et précieux talent renferme de pur, d'éclatant, de feu et de profond. Au retour de Madame Jal, je me fais une véritable fête de causer de vous, de vos dernières créations et surtout de cette Ariane dont il nous revient ici des bruits merveilleux.

Les journaux, auxquels pourtant je ne crois guère, nous ont fait espérer pendant deux jours que vous nous veniez ici cet été, mais, à mon très vif regret, la nouvelle ne s'est pas confirmée ; si elle se réalisait, nous tâcherions de vous recevoir de notre mieux et de vous rendre en soins et en attentions une partie du plaisir que votre présence nous causerait.

Il est bien temps que je prenne congé de vous, Mademoiselle. Je suis presque certaine, d'avance, que vous excuserez la liberté que j'ai prise, mais je ne puis m'empêcher de vous en demander pardon en vous priant de ne l'attribuer qu'à la confiance que m'a inspiré votre bon et aimable caractère.

Agréez je vous prie l'assurance de mes sentiments affectueux et dévoués.

Louise Allan

Saint Pétersbourg, 1er/12 août 1842