Vous ne vous êtes pas trompée ma chère Anaïs en pensant que vous me porteriez le coup le plus affreux que je puisse recevoir en m'annonçant la nouvelle du jour.

Je ne chercherai point à vous peindre mon chagrin, il est trop immense et d'ailleurs voudriez-vous le comprendre, vous qui savez tout ce que j'ai fait pour en arriver là. Mais quoiqu'il en soit plaignez-moi encore, car je ne savais pas et aujourd'hui je sais. Dieu m'a cruellement punie mais son châtiment ne m'apprend-il pas qu'il a encore songé à sa faible créature, n'est-ce ? pas pour m'arrêter qu'il m'a fait tomber au milieu de la route. Ne m'a-t-il pas laissé mon cher enfant ? Ne dois-je pas espérer et désirer pour lui si je n'espère ni ne désire plus rien pour moi ? Eh bien qu'il soit béni encore puisque je m'arrête, qu'il soit béni d'avoir ajouté vingt cinq ans à mes vingt cinq ans pour l'expérience et mis du cœur en moi pour aimer mon enfant.

Adieu ma chère Anaïs. Dites à W quand vous le reverrez vous qu'il me reste de ces nobles sentiments qu'il avait mis en moi et que je saurai bien encore prouver par les soins que je mettrai à laisser à son fils un nom sans tache, bien entendu du côté de sa mère puisque celui de son père est net comme le beau diamant.

Ne m'oubliez pas et croyez que je ne vous oublierai jamais.

Rachel

Juin 1846

Enveloppe:
Mademoiselle Anaïs Aubert
N° 4 Rue des Pyramides à Paris