Tout se passe, même ces longues journées qu'il me faut passer loin de mon cher enfant, mais sans apporter plus de calme dans ma pauvre tête, plus de joie dans mon cœur. Jamais l'existence ne m'a paru plus lourde à supporter. Sans doute je blasphème mais qu'il faut que je souffre pour penser ainsi.

Monsieur David m'a dit qu'il vous avait écrit de Gand et qu'il vous a parlé de mes succès en Hollande. Mais je ne pourrais vous en faire le récit, chaque fois que j'ai joué j'ai oublié. Ma pensée ne peut quitter le coup qui vient de me frapper et si mon chagrin ne fait qu'augmenter, c'est que tous les jours je me répète que moi seule l'ai voulu.

Adieu ma chère Anaïs, quand vous m'écrirez entretenez-moi seulement de mon cher petit Alexandre. Lui seul me fait désirer vivre, que je tâche de réparer en le rendant heureux le mal que j'ai pu lui faire par mes légèretés passées.

Ma santé est un peu meilleure. Mes douleurs à la poitrine ont diminué. La Belgique me convient mieux comme climat que la Hollande. Les chaleurs continuent mais ma manière de vivre est si retirée que je ne vois pas plus le soleil que les hommes, exceptés Monsieur et Madame David qui demeurent dans le même hôtel que moi.

Raphaël est très gentil et je suis fort heureuse de l'avoir avec moi. Son caractère est fort doux et il s'acquitte on ne peut mieux de l'emploi qu'il joue dans mes représentations.

Je serai à Lille le 24 juin. Si vous devez m'écrire adressez-moi votre lettre Hôtel de l'Europe où je descendrai.

Vous pouvez compter sur mon amitié comme je puis compter sur la votre ma chère Anaïs.

Rachel

Mes souvenirs à Madame votre mère.

Belgique juin 1846