Vous me demandez que je vous écrive mes soucis, ma chère Anaïs. J'ai eu le courage de pouvoir jouer malgré tous mes chagrins, mais il serait au-dessus de mes forces vraiment de vous raconter le résultat de mes représentations. Ici je demande à Monsieur David de me faire jouer le plus souvent possible, parce que je sens que j'ai besoin de reposer mon cœur des douleurs qu'il ressent, mais non pour espérer à trouver du plaisir pour les applaudissements qu'on me prodigue. Mon présent me paraît bien triste malgré ma grande position au théâtre. Jugez si l'avenir se présente souriant à moi. Oh oui plaignez moi à tort ou à raison, je me sens bien malheureuse aujourd'hui. Je ne pleure plus aussi je souffre davantage. La chaleur est accablante.

Mes douleurs à la poitrine me reviennent encore plusieurs fois dans la journée ; je n'ai aucun appétit et mon sommeil est tourmenté par une agitation continuelle ; les invitations pour me distraire ne me manquent pas mais il m'est impossible de quitter la chambre que j'habite si ce n'est pour me rendre au théâtre. Mon pauvre petit frère se ressent de ma tristesse. Il ne sait qu'inventer pour me décider à changer d'existence, mais rien ne peut me distraire du mal que j'éprouve.

Je vous ai quitté un instant pour aller répéter Virginie. J'ai vu David qui m'a promis de vous écrire. Il est fort sensible à votre souvenir.

Je ne sais vraiment si je reviendrai à Paris, mais ce que je puis assurer c'est que je ne reviendrai dans la capitale que mariée, et cela ne me sera que trop facile si j'en juge par le commencement de mon voyage. Mais comme je ne veux pas faire une folie complète, il faut pour m'y décider trouver dans ce mariage un avenir de fortune assuré pour mon enfant.

Adieu chère Anaïs, croyez toujours à mon amitié.

Rachel

Belgique, 21