Ma belle et chère Camarade,

Je sais que vous êtes fort occupée en ce moment. C'est pourquoi, en attendant que je puisse vous demander de vouloir bien me recevoir un de ces matins, je vous adresse cette lettre pour vous faire connaître à l'avance la demande que j'ai à vous faire.

Pendant et depuis ma longue carrière théâtrale je n'ai jamais eu ni représentation à bénéfice ni retraite. Vous vous souvenez sans doute qu'il y a quelques années, vous aviez consenti à me prêter votre précieux et puissant concours pour une représentation que je voulais organiser à l'Opéra Comique. Des circonstances majeures sont venues paralyser vos bonnes dispositions à mon égard, et ma représentation n'eut pas lieu. Je ne m'en suis plus occupé depuis; mais aujourd'hui des motifs impérieux me font une nécessité de renouveler mes tentatives, et c'est auprès de vous tout d'abord que je dirige mes sollicitations. Après les preuves multipliées de bonté et d'intérêt que vous avez données [...], puis-je espérer que vous voudrez bien me ranger au nombre de vos obligés comme j'ai toujours été au nombre de vos plus passionnés admirateurs.

J'ai dans le temps beaucoup connu Talma, j'ai été quelque peu dans son intimité, il me portait de l'intérêt. J'avais pour son immense talent cet enthousiasme que je n'ai ressenti depuis que pour vous seule. Quelle merveille chose c’eût été que la réunion de vos deux organisations ! De son vivant, Talma se fut rendu avec bonté et empressement à mes désirs ; eh bien, soyez aujourd'hui pour moi ce qu'il aurait été jadis ; que son ombre vous inspire une bonne résolution en ma faveur.
Pour première faveur, veuillez m'accorder un moment d'entretien pour vous renouveler de vive voix la demande contenue en cette lettre.

En attendant agréez je vous prie d'un vétéran le tribut de la sincère admiration avec laquelle je suis votre très dévoué serviteur.

Ponchard
5 Boulevard Montmartre

11 février 1851