Chère Madame,

Je viens de voir Monsieur Michel Lévy, et je vous écris sous le coup d'un vif sentiment de regret. La pensée que j'ai pu froisser quelqu'un dans le chagrin, et surtout une personne comme vous, cette pensée m'est tout à fait pénible. Le sentiment que vous fait éprouver ma lettre me prouve une fois de plus qu'entre amis, (permettez-moi d'employer ce mot) il faut toujours dans les circonstances délicates, se voir et non s'écrire ; si je vous avais vue, si vous aviez pu me recevoir comme je vous le demandais, vous auriez vu facilement que j'étais à mille lieux de l'idée de vous faire de la peine, et puisque ma lettre a eu le tort de vous froisser, je n'hésite pas à vous en témoigner tous mes regrets, et à vous en faire toutes mes excuses. Celui qui ne se fait pas comprendre a toujours tort.

Monsieur Michel Lévy me dit que vous avez eu la bonne grâce d'emporter votre rôle ; je vous en remercie, mais j'espère bien que nous n'attendrons pas le jour du succès, pour nous retrouver ce que nous étions, [...] que nous serons toujours, deux bons amis, dont l'un en outre sera toujours le bien sincère admirateur de l'autre.

A bientôt donc, chère Madame, et croyez bien que je vous suis tout dévoué de coeur comme d'esprit.

E. Legouvé