Ma chère mère, de tous les côtés j'apprends que le choléra ravage de plus en plus Paris, et rien ne vient m'apprendre l'état de vos santés, de celui de mes enfants. Tu ne sais donc pas ce que je souffre éloignée d'eux, pour me laisser aussi longtemps sans nouvelle.

Madame Saigneville est chargée par moi de t'envoyer l'itinéraire de mon voyage, je t'en supplie écris-moi bien vite. Tout ce qu'on me dit m'inquiète et m'accable. J’apprends que ce pauvre [...] n'est plus de ce monde !

Moi je poursuis non sans quelque fatigue mes représentations en province. Ma santé n'est pas bonne et je sens que je tomberais tout à fait si je ne jouais plus.

La chaleur qui toujours m'a fait du bien, cette année n'amène rien de mieux dans mon état de souffrance. Ce qui m'achève c'est que je ne trouve pas un instant d'appétit. Je ne quitte pas mon lit si ce n'est pour me rendre au théâtre. La chaleur est tellement vive qu'on respire à peine, le seul exercice que je prenne c'est de m'en revenir à pied chez moi les jours de représentation.

Je me sens si fatiguée que je te demande de n'entrer aujourd'hui dans aucun des détails qui t'intéresseraient sur ma direction, ma troupe, etc. etc. ; je joue ce soir à Rochefort où je viens d'arriver puis demain je retournerai à La Rochelle pour y jouer ma troisième et dernière soirée. Mes succès sont immenses partout et le public ne me fait pas défaut. Tout jusqu'ici va pour le mieux.

Adieu ma chère mère, veillez bien sur mes deux fils. Ma vie maintenant est tout en eux et en vous, gardez-moi donc précieusement ce qui me fait aimer ce monde.

Rachel

Rochefort, 9 juin 1849

Rose me fait rouvrir ma lettre pour vous dire mille choses. Elle envoie un bonjour à Baptiste et à Catherine, à qui je souhaite aussi une parfaite santé. J'aurai besoin de tous ceux qui me soignent bien à mon retour. On vient de m'apporter une carpe monstre de grosseur, je te l'envoie, j'espère qu'elle arrivera fraiche et digne de vos palais.