New York 1855

... gâtée par les lettres des gens qui disent m'aimer ! Et je ne te cache pas que cela m'est sensible, j'ai déjà versé quelques larmes à ce sujet, je tâche de me faire forte puisque je ne puis rien contre.

Dis-moi bien exactement qui tu vois et qui te vient voir, j'en saurai garder mémoire ; j'espère que tu n'as pas eu encore le temps de t'ennuyer, messieurs mes fils doivent t'étourdir pas mal et en même temps te plaire par leur gentil babil. Gabriel m'a écrit une petite lettre adorable, elle m'a touchée aux larmes. Serre-le bien sur ton cœur pour moi et dis-lui que je compte qu'il m'écrira souvent, rien ne peut me faire plus de bien que de recevoir vos trois chères lettres. Je te le répète tout ton monde va bien et moi mieux que tout le monde ; papa et Raphaël sont très gentils et empressés à m'être agréable, Sarah rit et mange pour me faire manger et rire, Lia étudie consciencieusement mes rôles (elle sera trois fois charmante dans Catarina) Dinah joue un bras avec l’un et avec l'autre et se demande tous les jours comment elle emploiera fructueusement les immenses capitaux que l'Amérique va lui rapporter. Voilà chère mère ce que nous faisons. Quant à ce nous disons nous te regrettons, ou plutôt nous disons que fait en ce moment notre pauvre mère ? Dort-elle ? Mange-t-elle ? Pense-t-elle à nous ? Et alors un long oui prolongé se fait entendre par toute la famille et nous disons : comme elle serait heureuse si elle pouvait nous voir comme nous sommes en ce moment bien portants et tous contents !

Il y a eu un fort orage tout à l'heure, je crois que le temps va changer et il est temps ! Car vraiment il a fait trop chaud et d'ailleurs nous attendons encore des Américains qui sont à la campagne.

Adieu chère et bonne mère, je te couvre de toutes mes caresses, embrasse pour moi mes enfants comme je les embrasserais si j'étais là tout à coup près d'eux, ne va pas leur faire du mal
Ta vieille fille

Rachel