Cannet de Cannes, le 6 juin 1859

 

Mademoiselle Sarah ma chère amie,

Vous n'êtes pas aimable car dans votre dernière lettre qui est vieille de six mois vous vous plaigniez fort de votre santé et je vous répondis tout de suite pour vous donner du courage et des conseils en vous priant de me faire savoir comment tout cela opérait, et vous n'avez plus rien écrit.

J'ai reçu de Madame votre mère une lettre ces jours-ci qui m'apprend que vous êtes à Paris et que c'est à vous que je dois des remerciements pour un médaillon de Rachel qui m'a été remis il y a deux mois par la poste sans aucune indication.

Eh bien ma chère amie voilà un cadeau qui est précieux pour moi, car la mémoire de votre sœur m'est plus chère encore que sa personne. J'éprouve pour elle ce que j'ai éprouvé toute ma vie pour les quelques personnes que j'ai le plus aimées : je n'ai connu qu'après leur mort toute la force, toute l'étendue et la puissance de mon affection.

J'ai réservé ce médaillon pour mon cabinet de travail. Il est devant mon bureau, il voit ce que je vous écris. Je le prends à témoin que je vous souhaite avec toute la sincérité possible toutes les prospérités de toutes sortes que vous voudrez avoir et particulièrement, une bonne et forte santé que vous saurez ménager avec le bon sens que donne l'expérience. Conservez toujours précieusement ce que vous avez toujours eu et qui toujours aussi vous a fait chérir de ceux qui vous ont bien connue. C'est votre bonté d'âme, ces élans du cœur, cette spontanéité de bienfaisance qui vous ont fait nommer reine des sœurs de charité
A propos de cela, j'ai dû vous dire il me semble dans ma dernière lettre que je n'ai jamais reçu les cent francs destinés à de bonnes œuvres que vous m'aviez annoncés par une lettre des premiers jours de janvier. Si vous les avez confiés à quelqu'un pour me les faire tenir vous pouvez les lui réclamer.

Adieu chère amie je me permets de vous embrasser sur l'une et l'autre joue et plusieurs fois parce que je vais me mettre en voyage. Nous allons voir de près les Tadeschi, et ces Lombards qui paraissent devenus raisonnables et ces Toscans qui l'ont toujours été et qui le seraient plus que jamais s'ils retenaient de vive force pour régner sur eux un de vos anciens amis que je ne dois pas nommer ici, mais que je désigne suffisamment pour être compris de vous.

Ainsi adieu pour quelque temps chère Sarah et faîtes qu'à mon retour je trouve ici une lettre de vous ou ce qui serait mieux, faîtes qu'elle arrive trop tôt ici et qu'on me l'envoie en Italie.

Votre ami
J. J. Sardou