St Germain le 8 juillet 1865 ?

Mon cher Alexandre,

Ta lettre du 20 mai m'a fait grand plaisir. J'y trouve de l'abandon de la confiance de la tendresse.

Je viens d'en recevoir une du 23 juin plus laconique mais tu revenais de ton voyage et tu n'étais pas sans doute complètement reposé. Il y a dans tes lettres une teinte de mélancolie qui me chagrine car rien ne la justifie tu as tout ce qu'on peut désirer à ton âge. Un avenir serein et calme s'ouvre devant toi et si l'ambition te prenait rien ne t'entraverait car à 20 ans élève-consul tu es sur la route de tout. Monsieur Benedetti n'avait pas l'appui que tu trouveras toujours en moi, et était élève consul à 24 ans seulement et il est aujourdh'ui ambassadeur ! En ne voulant pas ... les grandes aventures de la vie politique tu as une carrière certaine et tranquille à suivre et qui te mène sans difficulté à être consul général à trente ans.

Tu n'es pas riche mais tu as une petite fortune indépendante et aussi un nom honorable à porter. Tout cela est de nature à satisfaire à toutes les aspirations et toutes les velléités.

Ta santé demande des ménagements mais il ne faut pas t'en exagérer la portée. Tout le monde souffre des grandes chaleurs et moi plus que tout le monde mais c'est une souffrance sans conséquence et dont il ne faut pas s'effrayer. Tempérée par l'air de la mer cette chaleur t'est salutaire sois en bien convaincu.

Ce qui pourrait t'être nuisible ce serait un climat trop froid trop vigoureux.

Tu trouves Beyrouth un peu monotone mais quand on a des occupations et 20 ans rien ne doit sembler monotone.

Prend le dessus ne te laisse pas aller à un découragement imaginaire. Souviens-toi qu'on a presque toujours le bonheur à côté de soi et que la plus grande sottise c'est de vouloir courir après lui en s'imaginant qu'à force de courir après lui on finira par l'attraper ; à ce métier là on perd sa santé sa jeunesse on use sa vie et l'ombre que l'on poursuit vous échappe sans cesse tandis que pour la saisir il suffirait de se retourner et de regarer à côté de soi.

Tout cela mérite d'être médité car tout cela est plus profond que tu ne le penses peut-être et c'est le fruit d'une longue expérience de la vie.

Je trouve que tu as payé ton cheval bien cher. Mille ou mille deux cents francs m'auraient paru un prix raisonnable ; on voit que le ... a passé par là.

Cependant si tu es content de ta monture et si elle te plaît tout est au mieux.

Nous partons après-demain pour ...

Je verrai avec grand plaisir avec Monsieur ... à mon retour. J'espère que les nouvelles qu'il me donnera seront bonnes sous tous les rapports.

Mon élection de député aura lieu à la fin d'août. Je prendrai possession de la présidence dans le courant de septembre.

Ma santé est assez bonne pourtant je me ressens encore de ma dernière maladie ; je n'ai pas repris toutes mes forces et j'ai besoin de grands ménagements.

Je t'embrasse de tout coeur

P.S. : Ma femme me charge pour toi de mille tendresses.
P.S. : Tu ne me parles pas de tes rapports avec ton chef.