27 août 1867 ?
Villa Irène

Mon Cher Alexandre,

 

Tu as bien fait de m'envoyer ta lettre à Monsieur des Essarts car elle était absurde à tous égards et te mettait singulièrement dans ton tort.

Aussi me suis-je empressé de la brûler. Tu vois mon cher enfant les choses de ce monde à travers des verres grossissants. Tu te fais des monstres des choses les plus simples. Combat cette disposition car elle fausse ton jugement et te prépare des chagrins inutiles.

Ce que tu m'écris sur le compte de Monsieur des Essarts n'est pas à son avantage mais cela ne te touche en rien.

Ses procédés à ton égard ont toujours été bons et si le sens moral lui manque si sa délicatesse n'est pas tout ce qu'on pourrait désirer c'est son affaire et non pas la tienne. Tout cela peut influencer l'intimité de tes rapports avec lui mais rien au delà.

Quant au seul point qui te concerne directement l'affaire de Dinah. Permet moi de te dire qu'il n'y a pas de quoi fouetter un chat et si tort il y a tu ne dois t'en prendre qu'à toi. Je croyais t'avoir bien recommandé de ne jamais te livrer à des confidences sur les personnes de la famille de ta mère. Pense d'eux ce que tu veux mais abstiens-toi d'en parler pas plus en mal qu'en bien. A cette règle il doit être fait de très rares exceptions et uniquement en faveur d'amis éprouvés; on en rencontre 3 ou 4 dans toute sa vie.

Plus un mot sur Dinah ni à Monsieur des Essarts ni à d'autres. Si ce dernier t'en parle accueille ses paroles avec une froideur marquée rien de plus.

Médite sur ce point et tu as assez de jugement pour comprendre toi même et sans que je m'étende davantage.

Si tu désires quitter Beyrouth écris le moi et je m'emploierai volontiers à te satisfaire. Mais si tu t'y trouves bien et que tu ne désires le quitter qu'à cause de Monsieur des Essarts crois-moi il n'y a pas de quoi. Tu es bien installé on t'aime et on t'estime ; ton déplacement serait très coûteux ; il est donc désirable à tous égards que tu y restes jusqu'à ta promotion à un consulat.

Il me semble impossible qu'il n'y ait pas quelqu'un qui te monte contre ton chef. Ne te laisse pas monter.

Charles nous quitte dans deux jours pour aller remplir ses fonctions. Il y prend goût et j'en suis bien aise. Nous retournerons à Paris dans une quinzaine.

Je suis charmé que ton placement soit bon. Quant à mes actions de la route de Damas on me dit ici qu'elles deviendront bonnes et que cette année déjà nous toucherons un dividende. Malgré cela je veux les vendre et ici pas d'acquéreur. Si tu me trouves un acquéreur même à 250 Frs écris-le moi ; j'en ai 112.

Adieu je t'embrasse.

Ma femme qui te porte toujours un grand intérêt me charge de mille tendresses pour toi.