Paris le 28 septembre 1867 ?

Mon cher Alexandre,

Tu feras toujours très bien de te conformer strictement à mes avis car ils sont uniquement dans ton intérêt et sans te traiter en enfant je puis te dire qu'il y a des choses dont tu ne sais pas apprécier ou dont tu apprécies mal la portée.

Cela dit argumentons : Monsieur des Essarts représente à Beyrouth le gouvernement tu es son second vous êtes tous les deux les principaux membres de la mission de France. Si on attaque le chef de cette mission on l'affaiblit ou on la déconsidère et ton devoir est de la soutenir. L'esprit de corps est la base principale la condition indispensable de la force et de la solidité de tout édifice social .

Administrativement ou militairement parlant pendant toute mon existence et dans les différentes carrières que j'ai parcourues j'ai toujours pratiqué et prêché l'esprit de corps comme la vertu la plus utile et en même temps la plus digne de respect et d'admiration.

Or à 3000 km de la France le premier devoir des agents ... ou consulaitres est de considérer la légation ou le consulat comme un corps, comme une famille. Si on attaque le chef si on cherche à le déconsidérer cela retombe sur tous ceux qui font partie de la mission.

Lors même qu'on aurait des griefs légitimes contre le chef il faut savoir les renfermer en soi et ne jamais s'associer aux étrangers qui en disent du mal.

Le devoir impose cette conduite mais aussi le soin de sa propre dignité en font une loi. Sache mon cher enfant les vrais principes qu'il faut pratiquer quand on veut être un honnête homme et surtout un homme comme il faut, ceux qui ne les pratiquent pas se font une morale à leur taille mais ils ne méritent pas d'être dans la seconde ni dans la première catégorie. Maintenant si devant toi on attaque les tiens tu dois les défendre pour la même raison car rien n'est plus près de l'esprit de corps que l'esprit de famille ; ce sont deux sentiments qui partent de la même source.

Mais dire à une femme qu'elle est jolie qu'elle plait qu'on voudrait lui plaire n'a jamais été considéré comme une injure excepté pour son mari et ici il n'y a pas de mari c'est un neveu auquel on confie ses impressions il y a plus ou moins de tact à choisir un neveu pour une pareille confidence mais certes il n'y a rien ici dont on puisse s'offenser. Les termes peuvent être plus ou moins convenables mais encore là il n'y a rien dont on puisse se blesser chacun raconte les choses avec les mots et dans les formes propres à sa nature à son éducation ou à ses habitudes. Quant au fond "j'ai été j'ai vu j'eu été ravi, j'aurais voulu pouvoir être aimé et cependant rassurez-vous je n'ai pas ... essayé".

Non il n'y a pas là de quoi fouetter un chat pas même un rat de tout cela !

J'ajouterai à tout cela mon cher Alexandre que ta tante n'est pas mariée qu'elle vit avec quelqu'un qui n'est pas son mari et que cette double considération doit te porter à ne pas être trop susceptible à son endroit ce qui n'empêche pas que tu ne dois pas laisser dire du mal d'elle ou d'un autre des liens devant toi mais tu dois éviter d'en parler et ne pas être trop susceptible si on en parle.

Il y a là une question de mesure qui d'ailleurs ne trouve pas d'application dans le cas particulier car on a dit aucun mal et elle serait inconnue et même de famille que tu n'aurais pas le droit de t'offusquer.

Quant à Monsieur D... il a toujours été très bien pour toi et comme tu n'es pas censeur du moins tu n'as pas le droit de te faire son juge quitte ensuite à avouer pour lui plus ou moins d'estime mais avant tout quand on juge les autres le sentiment dont il faut s'inspirer c'est l'indulgence.

Je t'embrasse et je te félicite de gérer à ton âge un consulat général comme Beyrouth pendant si longtemps c'est honorable c'est aussi un peu ... mais on a dit que tu t'actives bien.

Si cela devait durer j'aimerais autant ...

Ma femme qui s'intéresse toujours beaucoup à toi et qui a pour toi une véritable affection te remercie de ton souvenir.

Tout à toi.

P.S. : Je t'envoie une lettre que Charles m'écrivait à Saint Germain.