COLLOQUE INTERNATIONNAL 29 septembre - 3 octobre 2009

BESANÇON - SAINT-MAURICE D'AGAUNE

Autour de saint Maurice :
Politique, société et construction identitaire.

 

Corinne MARCHAL:

PERMANENCE ET PROMOTION DU CULTE DE SAINT MAURICE DANS LE DIOCÈSE DE BESANÇON AU XVIIIe SIÈCLE

 

Au XVIIIe siècle, le vaste diocèse de Besançon touche sur sa frontière orientale le protestantisme, qui le déborde même à l'intérieur de cette " île luthérienne " (Jean-Marc DEBARD) qu'est la principauté de Montbéliard. Pour cette raison, le combat spirituel contre l'" hérésie " y demeure très actif, s'appuyant notamment sur des dévotions qui soulignent les spécificités du dogme redéfini à Trente, aux dépens, bien souvent, des saints des premiers siècles de la Chrétienté.
Ayant occupé une place importante dans la piété des Comtois du Moyen Âge, le culte rendu à saint Maurice d'Agaune a-t-il su s'adapter aux mutations spirituelles de la modernité ? Si le clergé paroissial lui témoigne en effet au XVIIIe siècle un intérêt qu'il sera nécessaire d'interpréter, le martyr thébain ne semble guère alors entrer dans la dévotion des laïcs, si ce n'est des gens de guerre.

Dévotion à saint Maurice et promotion de son culte par le clergé

Le diocèse de Besançon abrite de nombreuses reliques du martyr de la légion thébaine et de ses compagnons, quelquefois mises en valeur par de beaux reliquaires, à l'exemple de celui en argent doré représentant un chevalier armé à la mode du XVIe siècle de l'église Saint-Maurice, dans le Jura méridional, œuvre de Perrey, daté de 1616, ou de cet autre reliquaire figurant saint Maurice et saint Georges terrassant le dragon, ciselé vers 1678 par l'orfèvre salinois Jean-Baptiste Thouverey et conservé dans l'église jurassienne de Soucia.
Dans ce siècle pourtant contaminé par le doute rationaliste, la quête de ces reliques se poursuit, comme l'indique une requête en 1718 de Nicolas Jean Girard, curé de Velleguindry, paroisse du doyenné de Luxeuil, dans le nord du diocèse, à son confrère de l'église de Doubs, près de Pontarlier, afin d'obtenir l'esquille d'un ossement de saint Maurice, qu'il promet d'enfermer dans un beau reliquaire 1. La translation s'effectue en 1733.
Dans les cures placées sous son vocable - 4,1 % le sont2- , la fête patronale du 22 septembre, à laquelle sont aussi parfois conviées les communautés rattachées aux églises filles3, est l'occasion d'honorer le saint légionnaire. Autre marque de son dynamisme, ce culte est quelquefois associé aux grandes cérémonies chrétiennes, comme pour la paroisse Saint-Maurice de Besançon, où il s'intègre aux processions qui parcourent la ville durant la quinzaine suivant Pâques4.
Alors que s'épanouit l'art religieux comtois, succédant aux malheurs du siècle précédent, les curés inspirent également les représentations du saint et de sa légende, sur les tableaux des retables, les chaires à prêcher ou dans la statuaire5.

Le sens de la dévotion cléricale à saint Maurice

Saint Maurice occupe une place importante dans la pastorale post-tridentine. La valorisation de ses reliques a une signification évidente face aux négations du protestantisme. En un temps où, pour contrer les sarcasmes des sceptiques et des protestants, l'épiscopat veille à trier les vraies des fausses reliques, en retenant comme critère d'authenticité l'ancienneté de leur dévotion, celles du martyr thébain répondent particulièrement à son dessein.
Le culte des reliques s'intègre également à la pédagogie du catholicisme post-tridentin : sans chercher à détruire la croyance en leur valeur propitiatoire, le clergé tente de l'incliner vers une intériorisation de la foi. Les vénérer, c'est acquérir les vertus du saint. Dans une symbolique transformée par la Contre-Réforme, saint Maurice incarne la soumission à Dieu, non plus seulement par son rejet du culte païen, mais par le refus de l'hérésie. La " geste " mauricienne et les reliques du sacrifié servent donc à plusieurs titres le combat contre le protestantisme.
Si le saint légionnaire s'intègre si aisément aux dévotions d'un siècle marqué par la piété christocentrique, c'est aussi par l'assimilation de son martyre à celui de Jésus, que rappelle par exemple la belle chaire de l'église Saint-Maurice de Gray : le sacrifice du Thébain, sur le panneau central, est associé à la représentation des évangélistes.
Il est probable aussi que l'attachement du clergé comtois à ce saint provienne d'une volonté de commémorer les dévotions anciennes de la province.

Un saint secondaire chez les laïcs

Malgré cette sollicitude cléricale pour le martyr suisse, le culte n'est guère attesté chez les laïcs. L'anthroponymie ne le fait apparaître que pour 0,2 % des prénoms. Dans l'état actuel de notre enquête menée sur les testaments, il semble également oublié dans les legs pieux et les fondations.
Si le vocable des églises ne varie guère en général au fil des siècles, celui des chapelles, plus changeant, est un bon révélateur de mutations dévotionnelles. Or, au début du XVIIIe siècle, seulement sept d'entre elles sont dédiées dans le diocèse à saint Maurice. Deux sont implantées dans des cités qui ont tenu un rôle de défense derrière leurs remparts à l'époque habsbourgeoise - Pesmes et Pontarlier - , la troisième est érigée dans l'église de la Nativité Notre-Dame d'Auxonne, place forte et ville de garnison.
Nous tenons peut-être ici un indice concernant les groupes sociaux liés à ce culte. Le patron des chevaliers et des militaires aurait-il leurs attentions ? Une seule fondation de messes prenant pour intercesseur saint Maurice a été recueillie à ce jour ; elle émane en effet d'un soldat du régiment Royal Étranger, Philibert Jacquetin, de Chalon-sur-Saône6.

Dans un diocèse très marqué par la Contre-Réforme, le culte mauricien a donc survécu grâce à de profondes mutations. Le clergé l'utilisa dans son combat livré contre le protestantisme. Est-ce une coïncidence si, au XVIIIe siècle, la seule paroisse des Quatre Terres et du comté de Montbéliard retournée au catholicisme, sans concession au simultaneum, fut Saint-Maurice ? Dans un siècle de piété christocentrique, la théologie catholique a assimilé le martyre du légionnaire à la Passion du Sauveur. Mais son culte resta confiné dans une dévotion cléricale. Était-ce parce que ce saint était sans fonction propitiatoire ?

 

1 Probablement le buste reliquaire qui se trouve dans l'église actuelle. Arch. dép. Doubs, G 623.
2 Ce chiffre est comparable à celui que Philippe Martin établit, pour les cures du Toulois et du Saintois, en Lorraine, placées au début du XVIIIe siècle sous le vocable de saint Maurice (4 %). MARTIN Philippe, Les chemins du Sacré. Paroisses, processions, pèlerinages en Lorraine du XVIe au XIXe siècle, Metz, 1995, p. 41.
3 C'est le cas de celles de Chamesey et de Vauclusotte pour la fête patronale de Cour-Saint-Maurice, dans le doyenné d'Ajoie. Arch. Dép. Doubs, Pouillé des Carmes, v. 1710, p. 92-94.
4 Arch. Dép. Doubs, G 1824, Usages de l'église paroissiale Saint-Maurice de Besançon, 1735, p. 23.
5 Se reporter aux travaux de Liliane HAMELIN sur les représentations de saint Maurice en Franche-Comté.
6 Arch. dép. Doubs, G 1841, Fondations de messes de l'église Saint-Maurice de Besançon.

 

 

APPEL À INFORMATIONS

Je serais reconnaissante que l'on me communique toute information permettant d'établir un lien entre le culte de saint Maurice et le combat contre le protestantisme : cmarchal@univ-fcomte.fr