1er document

Plusieurs fois déjà les paroles de Mr Thiers sur la Pologne auraient demandé une réponse, mais jamais elle ne fut aussi indispensable qu'après le discours qu'il a prononcé à la chambre des députés le 6 mars. J'ose donc espérer que vous voudrez bien ne pas me refuser d'insérer dans votre plus prochain numéro les quelques lignes suivantes :

Etranger je ne me reconnais pas le droit d'analyser ou discuter la politique du gouvernement français, mais je pense que personne ne me refusera celui de rectifier des assertions nuisibles aux intérêts de mon pays, et qui avancées un peu légèrement pourraient prendre de la consistance par l'organe qui les émet. Ce serait dépasser les limites d'une lettre que de vouloir réfuter la foule d'arguments que Mr Thiers a avancé sur la Pologne depuis l'explosion de notre glorieuse révolution. Je ne m'arrêterai pas non plus à répondre à ses théories générales quand il prétend que la Pologne ne peut pas exister parce qu'elle n'a ni assez de montagnes ni assez de rivières. C'est dans un passé de mille ans et dans un avenir que nous verrons j'espère encore qu'il trouvera sa réponse

Je ne le suivrai pas non plus dans les citations tronquées des paroles de Napoléon dont il argue pour prouver que Napoléon regarda la restauration de la Pologne comme impossible.

Ce serait encore et par les paroles et par les actions de ce grand homme que je lui répondrai mais c'est surtout à un fait exclusif dont l'importance est plus grande parce que l'effet en est plus immédiat que je veux m'attacher et sur lequel je veux attirer l'attention des personnes qui liront ceci.

Monsieur Thiers quoique ne mettant pas en doute la pensée du traité de Vienne, trouve que le texte en est trop ambigu pour que l'on puisse empêcher la Pologne de devenir une province russe.

Il déclare qu'on ne peut pas en tirer d'une manière irréfragable la conclusion que la nationalité polonaise ne peut pas périr et enfin que le texte de ce traité de 1815 permet de soutenir qu'avec des simples institutions provinciales la Pologne aurait une nationalité en premier lieu.

Je me permettrais d'observer à Mr Thiers que de tout temps quand le texte d'une transaction quelconque n'est pas clair on recourt à l'esprit de la transaction surtout quand il y a des données ….aussi positive que celles qui nous restent dans les archives du Congrès de Vienne sur…qui a présidé à la rédaction et que l'orateur lui-même ne peut plus mettre en doute.

Mais admettant pour un instant que faisant abstraction de l'esprit d'un traité on ne doive que considérer son texte, il est par lui-même on ne peut pas plus explicite.

Voici l'article : « Le Duché de Varsovie à l'exception des provinces et districts dont il est disposé différemment dans les articles suivants est uni à l'Empire de Russie.

Il sera lié irrévocablement par sa Constitution pour être possédé par S.M. l'Empereur de toutes les Russies ses héritiers et ses successeurs à perpétuité.

S.M. Impériale se réserve de donner à cet Etat jouissant d‘une administration distincte l‘… qu'il croira convenable. »

D'après cela il est irrécusable que la Constitution du nouveau Royaume de Pologne est le lien qui le joint à l'Empire de Russie.

Et je le demande franchement et impartialement, Les Puissances pouvaient elles prendre un moyen plus sûr d'assurer à la Pologne une Constitution qu'en faisant de cette Constitution le lien qui devait l'unir à l'Empire de Russie.

Cette Constitution ne pouvait pas être positivement déterminée dans un traité mais on lui a donné deux grandes bases

1° des Institutions nationales et une administration séparée.

On laissa à l'Empereur Alexandre dont les sentiments étaient connus aux signataires du traité de déterminer plus particulièrement la nature de cette Constitution qu'il a été impossible de rendre plus inviolable qu'en en faisant le lien qui devait unir le Royaume de Pologne à l'Empire de Russie

La première conséquence de cette Constitution est la nationalité qui en même temps est une des bases qui lui est donnée par le traité de Vienne. Il est donc évident que le texte de ce traité garantissant nettement comme je viens de le prouver plus haut à la Pologne une Constitution lui garantit à plus forte raison une nationalité. Donc le texte du traité de Vienne n'est pas plus ambigu que ne l'est sa pensée ; Quant à la troisième assertion de Mr Thiers par laquelle il prétend que le Traité de Vienne permet de soutenir que la Pologne avec des Institutions Provinciales aurait une nationalité je ne peux y voir qu'une erreur de Mr Thiers qui aura confondu l'article qui traite du Duché de Varsovie avec celui qui comprends les Provinces Polonaises échues à la Russie la Prusse et l'Autriche et par lequel il est assuré à ces Provinces une représentation et des Institutions réglées d'après le mode du système politique que chacun des gouvernements auxquels elles appartiennent jugent utile et convenable de leur accorder.

Pour ces provinces donc des Institutions Provinciales répondraient aux exigences du Traité mais pour le Royaume de Pologne nous avons prouvé plus haut comment une Constitution avait été rendue obligatoire ; En tout cas d'ailleurs il est bien clair que ce Royaume se trouve dans une autre catégorie que les Provinces pour lesquelles des institutions provinciales ont été stipulées.

Stipulations (soit dit ici en parenthèse) auxquelles la Russie n'a jamais satisfaite.

Mr Thiers en finissant renverse tout l'échafaudage de son raisonnement ou du moins en avoue la faiblesse. Il dit :  « que si la France ne fait pas exécuter l'article du traité de Vienne c'est que pour faire exécuter un traité quand on n'a pas d'armée envoyée pour en exiger l'exécution on n'est jamais tout à fait fort ».Il avoue donc que le texte du traité n'est pas assez ambigu pour que la France ne doive le faire exécuter si elle avait une armée à envoyer. Pourquoi donc Mr Thiers n'a-t-il pas commencé par donner la vraie raison qui empêche le ministère de demander l'exécution du traité il se serait épargné une peine inutile et il n'aurait pas fourni au Cabinet de Petersbourg comme il le fait par son discours un appui en apparence plausible pour faire de la Pologne une province russe. Ne me sera-t-il pas permis dans ce cas de qualifier de légèreté la conduite d'un orateur qui sacrifie des grands intérêts publics à la petite gloriole d'un moment de succès.

Voilà Mr le rédacteur les observations qui m'ont paru les plus indispensables sur le discours de Mr Thiers prononcé à la chambre des députés le 6 mars courant.

 

2ème document

Monsieur le Rédacteur,

Plusieurs fois déjà les paroles de Monsieur Thiers sur la Pologne auraient demandé une réponse, mais jamais elle ne fut aussi indispensable qu'aujourd'hui. J'ose donc espérer que vous ne voudrez pas me refuser d'insérer quelques lignes dans votre plus prochain numéro. Etranger je ne me reconnais pas le droit d'analyser ou de discuter la politique du gouvernement français, mais, je pense que personne ne me refusera celui de rectifier des assertions nuisibles aux intérêts de mon pays, et qui avancées (j'oserais le dire) un peu légèrement, prennent de la consistance par l'organe qui les émet. Monsieur Thiers trouve que les traités qui empêchent la Pologne de devenir une province russe sont trop ambigus. Organe connu du gouvernement il déclare que l'on ne peut pas tirer de ces traités d'une manière irréfragable la conclusion que la nationalité polonaise ne peut pas périr. Et cette déclaration est faite au moment où le gouvernement français conjointement avec le gouvernement anglais réclament contre la Russie et persistent à voir dans le traité de Vienne la nationalité polonaise assurée. Quelle importance veut-on que le cabinet de Saint Pétersbourg attache aux réclamations du cabinet français, quand ce cabinet déclare à la Tribune par un de ses organes que la France n'a pour réclamer que des articles de traités dont le sens est tout à fait ambigu ? Je le demande ne me sera-t-il pas permis de dire que les paroles de Monsieur Thiers dans cette circonstance, même si elles eussent été vraies, porteraient le caractère d'une légèreté inexcusable ; comme peut-être y avait-il aussi quelque légèreté de la part du ministre français à annoncer à la Tribune Nationale au moment où des négociations étaient entamées au sujet de la Pologne que ces négociations ne seraient pas appuyées ; car quelle négociation peut réussir quand on déclare préalablement que l'on ne compte pas la soutenir ? Ce n'est plus négocier, c'est prier ou conseiller.

Monsieur Thiers prétend que la France ne pouvait exercer aucune action puissante dans les affaires de Pologne, car elle n'avait aucun moyen de communiquer par ses armées. Serait-il nécessaire de développer ici tous les moyens qu'un état et surtout un état comme la France peut avoir pour réagir sur une puissance qui ne lui est pas frontière ?

Suivant le principe émis par l'orateur l'influence d'un pays ne s'étendrait que sur les pays voisins. Ainsi l'Angleterre qui est séparé par la mer du reste de l'Europe n'aurait aucune influence quelconque sur la politique du continent ? On sait ce qui en est à ce sujet !! La mer dira-t-on peut être n'est pas une séparation pour une puissance maritime ; mais dans ce cas la France qui est une puissance maritime beaucoup plus imposante que la Russie touche à cet empire par la mer.

Monsieur Thiers avance encore que la Russie tient tant à la Pologne que si Napoléon même avait voulu lui imposer la condition de restituer la Pologne ; la Russie aurait préféré la guerre avec Napoléon. Pour répondre à cela il faudrait savoir de quelle époque du règne de Napoléon parle Monsieur Thiers.

Napoléon en créant le Grand-duché de Varsovie avait déjà commencé à empiéter sur la conquête de la Russie. Et l'on ne pouvait pas faire tout à la fois. Je laisse d'ailleurs à des personnes plus au fait des affaires politiques d'alors de décider si la Russie aurait préféré la guerre à la cession de ses provinces polonaises. Mais en tout cas l'assertion de Monsieur Thiers prouve seulement que si la Pologne est considérée par la Russie comme lui étant indispensable, les puissances qui ont intérêt à voir le colosse russe affaibli n'en sont que plus intéressées à empêcher que la Pologne ne devienne une province russe. J'ai cru Monsieur le Rédacteur ne pas devoir tarder un instant à vous envoyer ces observations sur le discours prononcé hier à la Chambre des Députés par Monsieur Thiers. Je vous demande de vouloir bien m'accorder encore dans votre journal de demain ou après-demain l'insertion de quelques lignes tendant à prouver en les appuyant de quelques pièces officielles que ce traité de Vienne pris dans son esprit et dans son texte est obligatoire pour la Russie et l'empêchent de faire (sans la coopération des autres puissances signataires dudit traité) de la Pologne une province russe. Et que même avec la plus mauvaise foi possible le texte de ce traité ne permet pas de soutenir (comme le dit Monsieur Thiers) qu'avec les institutions provinciales la Pologne aurait une nationalité. Veuillez agréer Monsieur le Rédacteur l'expression de ma plus haute considération.

Un polonais

Sans date mais antérieure à la naturalisation du Comte Alexandre Walewski en décembre 1833