TABLE RONDE 1er et 2 juin 2007

BESANÇON

Autour de saint Maurice :
Politique, société et construction identitaire.

 

Nicole BROCARD :

L’hôpital Saint-Maurice de Bracon (1327).

 

Cette étude sur l’hôpital Saint-Maurice de Bracon est le point de départ d’un travail plus ample sur l’hospitalité dans le comté de Bourgogne et sur ses liens possibles avec Saint-Maurice d’Agaune. Il inclura les maisons dites de Saint-Bernard de Montjoux et aboutira en septembre 2009 lors du colloque bi-localisé Besançon-Saint-Maurice d’Agaune.

L’hôpital Saint-Maurice de Bracon est un établissement singulier dès l’origine. Très richement doté en 1327 par Mahaut d’Artois pour répondre aux dernières volontés de son défunt mari, le comte de Bourgogne Otton IV décédé en 1303, il fut installé en 1327 sous le château comtal de Bracon, à proximité de la Furieuse, du couvent des Cordeliers, de la grande saline de Salins (Jura) et du « grand chemin ». Cette fondation soulève un certain nombre de questions d’ordre géographique, économique, religieux  et politique.

Dans son acte de fondation, Mahaut d’Artois s’intéressa d’abord à la localisation. Sa préférence se porta à Salins sur un  lieu « apte et convenable » propre à l’édification de ce type d’établissement. Elle opta pour ce site dans un passage obligé au fond d’une gorge étroite sur l’itinéraire de la Champagne à l’Italie par le Grand-Saint-Bernard (voie qui passe par Salins et Saint-Maurice). Le cas n’est pas unique, presque tous les hôpitaux créés en si grand nombre aux XIIIème et XIVème siècles dans le comté de Bourgogne furent implantés sur les axes routiers qu’ils participaient à contrôler. Nombreux également furent ceux installés à proximité d’un péage. Ce choix d’installation influa sur l’accueil offert et favorisa celui des passants et des voyageurs.

 


La comtesse se préoccupa ensuite de la dédicace de l’établissement. Edifié « en l'honneur de la Saincte Trinité 1, du Pere, du Filz et du benoict Sainct Esperit, de la glorieuse Vierge Marie et aussi de Sainct Moris et ses glorieux compaignons et de Sainct Michiel Archange », l’hôpital fut pourvu en 1329 d’un reliquaire de prix destiné à renfermer les reliques de saint Victor 2. Mahaut d’Artois voulut-elle ainsi exprimer la vénération particulière d’Otton IV pour saint Maurice, ses compagnons de la Légion thébaine et plus généralement pour les saints militaires ? Plusieurs indices permettent de le penser. Rappelons d’abord que le culte de saint Maurice s’est répandu très rapidement dans les limites géographiques de l’ancien Royaume de Bourgogne et que l’ancêtre du comte, Otton I, a offert des reliques de l’évêque de Sion saint Théodule à Saint-Etienne de Besançon. Notons ensuite qu’Otton IV  dans son testament, manifesta une dévotion particulière envers saint Michel et saint Georges, dissocia la fondation de son hôpital de Bracon des dons faits aux établissements d’assistance, mais en associa la création à un voyage qu’il désirait être fait « outre mer » pour le pardon de son âme. Le comte semble ainsi adhérer à l’idéal représenté par saint Maurice et les martyrs thébains, qui, au XIIIème, s’affirment comme modèles des chevaliers partant aux croisades. Remarquons enfin que le roi Louis IX, grand-oncle de Mahaut d’Artois, exprima ans les années 1260 une vénération particulière pour saint Maurice et ses compagnons.  Sollicitant  de l’abbé d’Agaune des reliques provenant de la Légion thébaine, il les reçut en grande solennité et les fit porter par quarante-six barons et chevaliers, «  car estoit bonne chose et honneste que li saint qui avoient esté chevaliers de Jhesu Crist fussent portez par chevaliers ». De fait, la fondation de cet hôpital de Bracon illustre une forme de piété aristocratique qui se caractérise par une adhésion au culte des saints militaires conjuguée à une attitude « piteable » envers les pauvres, vus également comme des vecteurs du salut des riches.
Cette dernière considération conduisit Mahaut d’Artois, conformément aux vœux de son défunt mari exposés dans son testament de 1302, à fonder devant les portes de l’hôpital Saint-Maurice de Bracon une aumône annuelle de six deniers destinée à tous les pauvres qui se présenteraient le jour de la saint Michel. Cette « donne » devait prendre l’allure d’un rituel processionnel et participer -comme l’organisation des obsèques - à fixer le cadre de la commémoration du défunt, à placer le comte sous la protection de saint Maurice et de saint Michel et à organiser sa « memoria » dans l'attente de la Résurrection de la chair.
Il fut ordonné également que cette aumône soit distribuée conjointement par le doyen de Saint-Michel de Salins, par le gardien des frères mineurs, mais surtout par un chanoine de Saint-Maurice résidant dans l’établissement et nommé par l’abbé d’Agaune. A noter que la somme de 1500 £ destinée à doter l’établissement fut remise à la comtesse par un chanoine de l’abbaye 3.

Ainsi à travers les actes de fondation, les liens entre Saint-Maurice d’Agaune et l’hôpital Saint-Maurice de Bracon s’affirmèrent très étroits. Pour comprendre leur force, terminons par l’évocation des relations politiques anciennes unissant les sires de Salins à Saint-Maurice. Comme ses devanciers et plus particulièrement comme son aïeul, Jean de Chalon, sire de Salins, le comte Otton IV prêta hommage à l’abbaye pour le fief de Bracon et ses dépendances, le Val de Mièges, la Chaux d'Arlier, Aresches, Chamblay, Usier, le château de Saint Maurice de Cicon, les censiers de Pontarlier et la vallée de Vennes 4 (voir carte ci-après). Le 1er novembre 1327, Mahaut d’Artois confessa elle aussi tenir du nouvel abbé Barthélémy de Bartholomeis, qui s’était déplacé à Bracon à sa demande 5, le fief de Bracon et tous les lieux énumérés ci-dessus. Quelques mois plus tôt, le 18 juillet, dans le cadre d’une correspondance, la comtesse, lui avait fortement signifié la déférence qu’elle lui portait et sa volonté de lui obéir dans les plus brefs délais. Après l'avoir poliment complimenté sur sa nouvelle dignité, elle lui avait signalé que, se trouvant à Paris chez sa fille Jeanne, reine de France, elle ne pouvait lui rendre immédiatement l'hommage qu'il exigeait d'elle. Cependant, elle lui précisait combien elle se montrait disposée à le lui rendre aussitôt qu'elle le pourrait, le suppliant de prendre un peu patience. Sa lettre mentionnait enfin une clause du testament d’Otton de Bourgogne, concernant l'hôpital de Bracon, pour la fondation duquel les derniers actes relatifs à son fonctionnement datent du 2 novembre 1327.

 

 

En dernier lieu, la fondation de l’hôpital de Bracon met en évidence l’emprise territoriale de l’abbaye sur le comté de Bourgogne (voir résumé de Laurence Delobette).

Les pistes évoquées lors de l’approche de cet établissement hospitalier (spécificité des lieux- relations avec l’économie le religieux  et le politique) restent à approfondir pour Saint-Maurice de Bracon, mais également pour un autre hôpital Saint-Maurice situé à Moirans-en Montagne (Jura) dont les sources précisent qu’il doit son existence aux libéralités des abbés de Saint-Claude. Ces deux établissements doivent être mis en relation avec tous ceux situés sur le « grand chemin ».

 

1 Otton IV ordonne d’être inhumé dans l’église abbatiale de Cherlieu au comté de Bourgogne  entre les tombeaux de ses parents Hugues de Chalon et Alix de Méranie, « devant l’autel de la Trinitey ».

2 A la tête de la Légion se trouvait saint Maurice ; parmi ses compagnons, Candide, Innocent, Exupère, Victor et Constantin.

3 Le comte Otton voulait qu’une somme de 500 £ soit délivrée pour l’édification de l’hôpital et une autre de 500 £ pour l’ornementation de la chapelle. 1500 £ devaient être donnés en sus pour sa dotation.

4 Val de Vennes ou Val de Vigne ? Ce point est encore à creuser.

5 La comtesse prétexta dans une lettre adressée à l’abbé le 26 mai 1327 ne pas pouvoir se rendre à Agaune en raison de son âge et des mauvais chemins.

 

 

Nicole BROCARD
Laboratoire des Sciences historiques
Université de Franche-Comté

 

GAUTHIER (J) , « Le testament d’Othon IV, dernier comte de Bourgogne, 1302 », Annuaire du Doubs, 1903, pp 379-394.


Ce travail initial a été effectué principalement à partir du fonds des Archives départementales du Jura, cote 128 H et du fonds des Archives de Saint-Maurice d’Agaune mis en ligne http://www.digi-archives.org