TABLE RONDE 1er et 2 juin 2007

BESANÇON

Autour de saint Maurice :
Politique, société et construction identitaire.

 

Nicole BROCARD et Anne WAGNER :

 

INTRODUCTION

 

PROJET FRANCO-SUISSE (2007-2009)
BESANCON- SAINT-MAURICE D’AGAUNE

Autour de saint Maurice : Politique, société et construction identitaire.

 

Selon une tradition remontant au Vème siècle, Maurice commandait une légion provenant de Thébaïde en Egypte, appelée à renforcer l'armée de Maximien lors d'une expédition en Gaule ; les soldats étaient chrétiens. Après avoir franchi les Alpes, l'empereur qui se trouvait à Octodure (Martigny) donna l’ordre aux Thébains stationnés à Agaune (Saint-Maurice) de massacrer des chrétiens. Ils refusèrent et furent exterminés dans l'étroit défilé par où le Rhône s'échappe vers le lac Léman. La tradition donne les noms de deux officiers, Exupère et Candide et celui d’un vétéran du nom de Victor exécuté par la suite. Cette histoire, transmise par  la Passion composée par Eucher de Lyon dans la première moitié du Vème siècle,  situe les événements lors de la persécution contre les chrétiens (303). Un texte anonyme, pratiquement contemporain du précédent, présente quelques variantes : il décrit une campagne de Maximien en Gaule, où les esclaves en révolte semaient la terreur (285/286); les Thébains refusant de participer au sacrifice précédant la bataille.

Les dépouilles des martyrs furent révélées à Théodore ou Théodule, évêque d'Octodure (fin IVème s.). Une basilique fut édifiée sur le tombeau des martyrs qui jouirent d'une grande popularité. Ce drame à l’historicité contestée eut un retentissement extraordinaire du Vème au XVème siècle et fut à l'origine de la fondation du monastère d'Agaune, qui deviendra la très importante abbaye Saint-Maurice d'Agaune. Située sur la route du Grand-Saint-Bernard, elle fut largement dotée par les princes et les rois d’Occident et joua un immense rôle politique, économique et religieux.
Une des caractéristiques du culte est le phénomène de délocalisation du lieu du supplice : on inventa des martyrs thébains le long des vallées du Rhône, du Rhin et dans le Piémont. Ainsi, la vénération des reliques du saint et de celles de ses compagnons s’observe dans l’art, l’architecture et des topographies sacrales spécifiques en de nombreux lieux d’Allemagne, de France, d’Italie et de Suisse. Elle devint en outre très tôt porteuse d’une idéologie communautaire et unificatrice et polarisa l’idéologie politique depuis le Royaume de Bourgogne 1, jusqu’à la principauté de Savoie en passant par l’Empire germanique.

 

Les lieux concernés et reportés sur la carte ci-après montrent une identification symbolique manifeste de saint Maurice et du Royaume de Bourgogne.
Dans le premier Royaume de Bourgogne,  celui des Burgondes, naît le culte de Maurice. C’est à Agaune qu’est enterré le dernier roi burgonde Sigismond ainsi que ses enfants.
Dans le second Royaume de Bourgogne, royaume franc, le roi Gontran reprend à son compte le culte  monarchique de saint Maurice. A la mort de ce roi, le Royaume est rattaché à l’Austrasie et s’étend vers le Nord.
A l’époque carolingienne, le Royaume de Bourgogne, placé au cœur de l’Empire, est, lors du partage de 843, attribué à Lothaire 1er. Il est alors le noyau d’un territoire allant de Rome à la mer du Nord et constituant un axe dynamique sur le plan politique et culturel.
En 888, le Royaume de Bourgogne redevient autonome sous la direction des Rodolphiens. Ces aristocrates tirent leur légitimité de l’abbatiat laïc de Saint-Maurice. Leur royaume appelé troisième Royaume de Bourgogne s’étend autour du sillon rhodanien, comprend la Provence et Arles, la Savoie, le nord de l’Italie, une grande partie de la Suisse actuelle et le comté de Bourgogne dans sa partie septentrionale. C’est d’abord ce territoire qui est au cœur de notre projet. Le puissant voisin qu’est l’Empire qui a des visées sur ces terres parvient en 1032 à annexer cet état ; le terrain avait préparé par l’adoption par les ottoniens du culte de Maurice.
La carte montre par ailleurs la position stratégique de Saint-Maurice sur « le grand chemin » ou « via francigena » qui relie l’Italie à la Champagne via le Comté de Bourgogne. Cette localisation favorisa la diffusion du culte et le rayonnement de l’abbaye.

 

 

 

Ce projet qui s’étend sur 2 ans (2007-2009) est mis en place et porté par deux instances : le Laboratoire des Sciences historiques de l’U. de Franche-Comté et la Fondation des Archives de Saint-Maurice d’Agaune  www.digi-archives.org . Il propose une approche interdisciplinaire (Spécialistes des textes -anthropologues– historiens –historiens de l’art), dans le cadre d’une collaboration franco-suisse étroite mêlant archivistes et universitaires.

 Co-responsables : - Nicole Brocard et Anne Wagner, Maîtres de conférences, U de Franche-Comté. Laurence DELOBETTE Maître de conférences, U de Franche-Comté participe au projet

                             - Françoise VANNOTTI, Membre du bureau exécutif de la fondation, Archiviste-paléographe Sion, et Olivier Roduit, Prieur de l'abbaye, archiviste et bibliothécaire, Membre du bureau exécutif de la fondation/ Monsieur Gilbert COUTAZ, Directeur des Archives cantonales vaudoises, Lausanne/, Germain Hausmann, archiviste   pour la Fondation des Archives de Saint-Maurice d’Agaune  

L’utilisation d’actes mis en ligne par la fondation des archives de Saint-Maurice d’Agaune www.digi-archives.org favorise le travail des chercheurs

 

L’abbaye de Saint-Maurice, dont le rayonnement fut extraordinaire dans l’Europe entière, n’a plus suscité de travaux de synthèse historique depuis 1954 (Theurillat J.-M., L'Abbaye de Saint-Maurice d'Agaune des origines à la réforme canoniale, 515 - 830 environ, dans Vallesia 9, 1954, 1-128).
Un colloque s’est tenu à Fribourg du 17 au 20 Septembre 2003. Mais, il s’est surtout intéressé aux textes de la  Passion de  saint Maurice. (Saint Maurice et la Légion thébaine - Mauritius und die thebäische Legion. Actes du colloque, 17-20 sept. 2003, Fribourg, Saint-Maurice, Martigny. Herausgegeben / Textes réunis par Otto Wermlinger, Philippe Bruggisser, Beat Näf, Jean-Michel Roessli. Fribourg, Academic Press, 2005, 520 p. (Collection Paradosis, volume 49). Des travaux ont encore été menés par Eric CHEVALLEY sur les textes et par Remo Becci sur les archives, Le chartrier de l'Abbaye de Saint-Maurice d'Agaune (1128-1292) : édition et présentation, 5 vol., thèse pour le diplôme d'archiviste paléographe, École nationale des Chartes, Paris, 1997.
Laurent RIPART, à travers différents articles, s’est intéressé à la relation des  reliques et du pouvoir.
Une thèse de l’Américain B. William a été effectuée sur la Laus Perennis : A dynasty of prayer: the perpetual praise (laus perennis) in Merovingian Gaul (515-816), 2000 .
Une étudiante G.  Haller a réalisé son mémoire de maîtrise sur le fameux tableau du Greco, Culte et iconographie de saint Maurice: Le cas du «Martyre de saint Maurice» de El Greco. Mémoire de licence, Section d’histoire de l’art, Université de Lausanne, 2004, 98 p.
Enfin, concernant l’archéologie, il faut se reporter aux travaux  d’Alessandra Antonini sur « Les origines de l'Abbaye de Saint-Maurice d'Agaune : un héritage à étudier et protéger » in Kunst + Architektur in der Schweiz = Art + Architecture en Suisse = ... - Bern. - 2003, Année 54, no 3, p. 23-29 : ill. – Cet article concerne notamment les fouilles menées de 1944 à 1949 par Louis Blondel.
L’importance de Saint-Maurice au Moyen Age, les recherches nombreuses, mais éclatées, ont fait penser qu’il était nécessaire de réfléchir à la tenue d’un colloque (2009) préparé au préalable par une Table ronde (2007) afin de lui donner le maximum de cohérence et de force. Le parti pris a été de s’orienter vers la diffusion du culte, le rayonnement de l’abbaye tant sur le plan politique, qu’économique ou religieux, tout en n’écartant pas le thème de la piété aristocratique et celui de l’évolution de l’image du saint.
Notre première rencontre les 1er et 2 juin 2007 à Besançon a rassemblé une vingtaine de chercheurs sur deux jours afin de définir avec précision les axes de la recherche et proposer une réflexion collective qui, lors du colloque de 2009, permettrait une approche la plus proche possible d’une synthèse sur la question. Il a paru également évident de s’inscrire dans la continuité du colloque de Fribourg sur les textes, d’où la présence de spécialistes des textes ayant participé en 2003 au colloque de Fribourg. Une problématique prédéfinie s’est affinée au fur et à mesure des interventions et des débats et les chercheurs présents se sont engagés sur deux ans sur la problématique qui suit :

La recherche engagée veut surtout mettre en évidence la diffusion du culte mauricien par une approche pluri-disciplinaire couvrant un large territoire et permettant des comparaisons avec d’autres cultes militaires, politiques, aristocratiques, hospitaliers (saint Bernard de Montjoux) voire avec des cultes apparemment antithétiques (par exemple ceux inspirés par la spiritualité mendiante insistant sur la pauvreté et la dépendance comme moyens de salut et culminant avec la passion féminine de sainte Elisabeth de Hongrie).  Pour mieux définir des sensibilités et un paysage spirituel sur le long terme, il faudra souligner les évolutions, cerner les originalités et dégager les caractères de permanence de la figure de Maurice. Il s’agira également de préciser les liens existant entre le religieux, le politique et l’économique.
Lors de la Table ronde des 1er et 2 juin 2007, il avait été demandé à chaque chercheur une contribution orale pour préparer le colloque de 2009. Un résumé de chaque communication est mis en ligne sur le site de la fondation Saint-Maurice d’Agaune (http://www.digi-archives.org/) et le sera en septembre 2007 sur le site du Laboratoire des Sciences historiques de l’Université de Franche-Comté (lsh@univ-fcomte.fr). Il est également prévu une deuxième table ronde en septembre 2008 autour de groupes de travail déjà constitués. Ceux-ci s’inscriront dans une réflexion autour des 5 thèmes suivants :

A travers la propagation de la légende de saint Maurice et le rayonnement de l’abbaye qui lui est dédiée à Agaune, le projet a pour but premier de proposer une approche de l’histoire de la région transfrontalière franco-suisse sur un long Moyen Age (Vème au XVème siècle), voire au-delà. En effet, la domination de l’abbaye sur la route qui, via le grand Saint-Bernard, va de l’Italie à la Champagne en passant par le comté de Bourgogne est déterminante pour comprendre les espaces et leur histoire. Une extension de la zone géographique à étudier est prévue dans le cadre d’une coopération avec des chercheurs italiens et allemands. Très tôt, l’abbaye reçoit des hommages sur des terres éloignées situées par exemple dans le comté de Bourgogne et en Savoie, mais aussi à Auxerre. En 1210, Guillaume, comte de Ponthieu et de Montreuil, donne aux chanoines de Saint-Maurice pour le salut de son âme et celle de ses parents, épouse et fille, une rente de 13 livres parisis assise sur sa halle d'Abbeville pour acheter 20 aunes d'écarlate pour faire les camails que les chanoines ont coutume de porter en l'honneur du martyre de saint Maurice.

      Il s’agira d’étudier et de cartographier le semis d’églises et de lieux Saint-Maurice qui maillent le territoire, un espace qui n’est pas perçu au Moyen Age sous la forme d’étendues et de superficies, mais plutôt marqué par des emplacements et des points. La question se pose de savoir si  les lieux Saint-Maurice privilégient les sites de hauteur ou les lieux de passage par le biais d’installations hospitalières ou d’édification de sanctuaires (voies-cols-vallées étroites, ponts..) Leur implantation,  loin d’être anarchique, répond à une volonté délibérée de structurer une contrée, d’affirmer un pouvoir, de tenir un territoire Indépendamment de la question spatiale, se pose également celle temporelle de savoir comment a évolué la vénération du saint et de ses compagnons martyrs entre le Vème au XVème siècle.

 

Les textes hagiographiques et liturgiques doivent être réexaminés. Modèle de soldat, il fut comme saint Georges, le patron des chevaliers. Au milieu du XIIIe, Louis IX demande des reliques de Maurice et de ses compagnons pour fonder la collégiale de Senlis. Il décida qu’elles fussent portées par quarante-six chevaliers. Au XIIème siècle, on vit dans les martyrs thébains les modèles des chevaliers partant aux croisades. Maurice est le saint militaire par excellence. Représenté souvent avec une lance, il apparaît comme un guerrier, et non comme un objecteur de conscience, à l’instar de saint Maximien ou de saint Marcellus. Il sera donc possible d’intégrer cette image à d’autres recherches sur les saints chevaliers en particulier en Espagne étudiés par P. Henriet. Incarnant l’idéal chevaleresque, il est la « bonne conscience » des croisés. Les chercheurs engagés examineront dans les testaments, l’expression de cette  piété des aristocrates.

L’accent sera aussi porté sur la représentation de Maurice, sur la diffusion de son image, martyr puis chevalier de plus en plus intégré dans son temps, l’iconographie le figure volontiers sous les traits d’un Maure africain dès les XIIème-XIIIèmesiècles, en raison du rapprochement entre Mauricius et Maurus.  Il futl’un des très rares saints noirs de l’hagiographie chrétienne. Les teinturiers- artisans à la profession décriée- ont fait du saint à la peau noire leur patron (travaux de Michel PASTOUREAU, Jésus chez le teinturier - Couleurs et teintures dans l'Occident médiéval, Léopard d’or, 1998).  Il est encore très fréquemment représenté à l’époque moderne (voir table ronde des 1er et 2 juin communications de L HAMELIN et E. DEHOUX. L’aspect liturgique du culte devra être réévalué et aura comme support une exposition de manuscrits de la BM et de la BnF. Ces derniers seront décrits, et ces textes édités dans les actes du colloque (collaboration avec MC WAILLE). 

Maurice est patron de familles régnantes d’Europe. En 672, les rois francs se confient à lui. Son image militaire permit en outre la reconnaissance d’un saint identitaire pour toute une région centrale de l’Europe actuelle –la Francia media- et même au-delà. Sous les empereurs saxons, Maurice prend la première place parmi les patrons de l’Empire : un réseau dense du culte du saint martyr, dont le centre est Magdebourg, s’étend à travers l’Allemagne. Les empereurs reçoivent leurs attributs devant des autels voués au saint. La famille de Savoie se place elle aussi sous son patronage ( lien étroit entre « Saint-Maurice et la Savoie, son épouse mystique » signifié dans un acte de 1641, où il est affirmé : «  ce fust en l’an 1250, que pour tesmoignage d’une affection et piété reciproque, le second Charlemagne, Pierre de Savoye entre aultre chose desira que le mesme anneau lui fut accordé…» ; sont rappelées les donations à la maison de Savoie de reliques et dépouilles -anneau, cuirasse...- du saint martyr). Le roi Louis IX vénère saint Maurice et René d’Anjou, à la fin du Moyen Age, contribue à la diffusion du culte mauricien en Provence et en Anjou.

 

Travail de collaboration mis en place entre universitaires de différents pays
Travail de collaboration entre universitaires et archivistes,
Pluridisciplinarité active
Mise en place et développement de sites en ligne,
Visibilité immédiate des résultats

Nécessité de réexaminer l’ensemble du dossier de textes, de leur transmission, des manuscrits et de leur datation, du contexte de leur élaboration.
Approfondissement et extension de l’histoire interne de l’abbaye et de celle de son rayonnement politique et économique (domination des routes et des péages…).
Cartographie du développement région par région du culte mauricien (reliques édifices de culte,  images …) ; Compréhension des causes historiques, politiques justifiant l’accueil de ce culte ou son rejet éventuel
Variabilité des représentations figurées sur une même période et évolution de l’image du saint en relation avec le contexte social, politique et religieux.
Approche historico-anthropologique du culte du saint au Moyen Age jusqu’aux manifestations processionnelles actuelles.

 

       Table ronde à Saint-Maurice d’Agaune en septembre 2008
       Colloque à Besançon et à Saint-Maurice d’Agaune en septembre 2009

Vous êtes invités à nous rejoindre dans nos recherches.

1 Une portion en fait de la Lotharingie, cette partie de l’ancien Empire carolingien que l’Histoire devait voir progressivement disparaître entre le royaume des Francs à l’Ouest et l’Empire germanique à l’Est.