Nice 1864 ?

Vous serez étonné, peut être ennuyé, Cher Comte, de recevoir une lettre de moi, venant de si loin. Et surtout, une lettre qui implore un mot de réponse mais on nous a dit ici, que vous aviez été, que vous étiez même encore, assez souffrant, et j'ose venir vous demander directement de me faire savoir si vous allez mieux ? L'intérêt très sincère que je prends à tout ce qui vous concerne, depuis bien des années, me tiendra lieu d'excuse, pour vous importuner ainsi, au milieu de tant d'affaires et de préoccupations graves ! Vous devez bien penser qu'à Nice comme partout, on ne s'entretient que du discours, et de la lettre aux souverains. Jamais la parole n'a été maniée avec plus de grandeur, de clarté, de loyale franchise, et de simplicité émouvante. Mais comment l’interpréteront “les médiocrités” auxquelles elle s'adresse ! Ce langage est si nouveau, si original, si riche d'idées et de sentiments généreux, que la vieille Europe avec ses protocoles moisis, et ses atouts fanés de 1815, ne sait plus où elle en est, si c'est la paix, la guerre, l'entente cordiale ou la fin du monde ? Pour nous hélas, tout secours ajourné sera perdu. On assassine, on dépeuple, on déporte, on ruine. Pour centupler la terreur on va exécuter des femmes, les prêtres ne suffisaient plus à faire des martyrs ! Jugez, cher comte, de mes angoisses personnelles, ayant en Podolie mon frère aîné, avec ses filles et ses petits-enfants, qui sont là, comme en cage, et en otages. Car il est défendu de demander même, un passeport. La Galicie nous traite aussi bien durement. Les prisons regorgent et on y a presque aussi faim que dans la citadelle de Varsovie. La pauvre Hedwige Sapieha, cette mère déjà si importunée, voit le dernier de ses enfants, Adam, enfermé depuis 5 mois, sans air, sans exercice avec une santé si menacée ; n'ayant pas même encore pu obtenir un premier interrogatoire.

On est vraiment troublé jusque dans sa foi et ses prières ! Comment Dieu permet-il, que les Berg et ... vivent et triomphent si longtemps voici dix mois que cela dure.

Et on croit qu'on tiendra cet hiver ! Cela serait miraculeux. Qu'en résultera-t-il. Extermination ou résurrection ? Puissé-je vivre seulement assez longtemps pour crier une seule fois “vive le roi de Pologne ! Et je sais bien qui aurait mon vote ! ... mais je m'arrête, voyant que je suis toute disposée à dire des folies ce matin.

Oubliez les jusqu'à nouvel ordre. Et veuillez, Cher Comte, en me rappelant au bon souvenir de la Comtesse Walewska agréer l'assurance de ma vieille amitié, bien dévouée.

Nous parlons souvent de vous avec Mme Colloredo qui est ici. Toujours très bonne et aimable pour moi.

Note : le général comte von Berg a été appelé par le Grand-Duc Constantin comme vice-roi de Pologne après les événements insurrectionnels de 1863

Note : relire les documents à la cote ACW/CAH/11/39 et ACW/CAH/11/42 sur la situation en Pologne en 1863.